États-Unis - URSS (22 février 1980)

 

Jeux Olympiques 1980, poule pour le titre.

La jeune équipe américaine, invaincue et séduisante dans ce tournoi olympique, est au pied d'une montagne. L'Union Soviétique n'ont perdu qu'une fois l'or olympique, en 1960, justement contre les États-Unis, vainqueur par un but de Bill Christian. Son fils avait 8 mois à l'époque, et a grandi en passant tous les jours devant la médaille d'or, au mur du salon : aujourd'hui, Dave peut succéder à son père ! Théoriquement ailier, il a été reconverti à l'arrière avant le tournoi par son entraîneur Herb Brooks, à cause de blessures mais aussi parce qu'il voit en lui un défenseur qui s'ignore (alors qu'il n'avait qu'une brève expérience du poste au lycée).

Pendant la phase d'observation, la technique supérieure des Soviétiques est évidente. Les Américains sont à la peine dans les sorties de zone, mais on sent que l'importance de l'évènement les transcende alors que leurs adversaires sont plus dans une routine. Les universitaires se distinguent ainsi pas la très forte intensité de leur patinage. Lorsqu'une très belle chevauchée de Bill Baker sur la droite aboutit à un centre pour Verchota dans l'enclave, les "USA, USA" résonnent dans une patinoire avide d'exploit. Une pénalité inutile de Mikhailov, qui a accroché McClanahan dans la zone offensive, est tuée. Mais après neuf minutes, le junior Vladimir Krutov met la pression sur Buzz Schneider, qui perd le palet dans sa zone, et dévie le tir de la ligne bleue qui semblait anodin de Kasatonov (0-1).

Trouvé dans le slot par une passe de Maltsev, Krutov n'est pas loin de doubler la mise en tirant à bout portant sur Jim Craig. Mais 45 secondes après cet arrêt, ce sont les Américains qui égalisent au contraire : Vladimir Golikov se fait enfermer avant de passer la ligne bleue, Mark Pavelich lui prend le palet et effectue une passe transversale en zone neutre pour Buzz Schneider dont le slap croisé en entrée de zone bat Tretiak côté mitaine (1-1).

Le but pique au vif l'Union soviétique qui réagit de manière plus soutenue : percée de Skorvtsov qui efface Christian en un contre un, tir sur engagement de Kharlamov capté par la mitaine de Craig... L'action-clé part d'une mise en échec de Kasatanov sur McClanahan contre la bande. Aleksandr Golikov remonte la glace avec le palet, passe la ligne bleue et donne une passe-abandon Sergei Makarov qui essaie de lui rendre la pareille en profondeur. Mais sa passe ricoche sur le patin du défenseur Morrow et la rondelle revient sur Makarov... qui la propulse dans la lucarne (1-2). Les Soviétiques semblent avoir atteint leur vitesse de croisière. Craig doit arrêter un lancer de Maltsev puis le rebond de Balderis, et surtout repousser de la botte gauche un tir de l'enclave de Mikhaïlov servi en retrait par Petrov. Mais dans la dernière minute, l'URSS semble rentrer au vestiaire par anticipation. Broten crée une première alerte à 2 contre 1. À cinq secondes de la fin, Dave Christian tire depuis son propre camp alors que les Américains changent de ligne, une action on ne peut plus anodine... Mark Johnson est le seul à y croire et à suivre le rebond laissé par Tretiak, contrairement à la paire défensive Bilyaletdinov-Pervukhin restée statique. Il peut alors contourner le gardien russe avancé pour marquer en angle (2-2). Un but improbable qui relance totalement le match. Il reste une seconde et le jeu doit donc reprendre : Tikhonov n'envoie que 3 joueurs sur la glace (!) et fait entrer son second gardien Vladimir Myshkin.

L'expérimenté Tretiak se retrouve définitivement sur le banc à la reprise, victime de cette première période moyenne. John Harrington retient Kharlamov. Les Américains parviennent à conserver le palet pendant cette première pénalité et à gagner du temps... mais une passe en zone neutre de Bill Baker est contrée par Vassiliev. Krutov envoie alors Aleksandr Maltsev crucifier les États-Unis par un but en solitaire (2-3). Les Soviétiques semblent avoir rétabli la situation, mais ne font pas le trou. Superbement servi du revers par Vladimir Golikov au poteau opposé, Makarov rate la conclusion. Une minute plus tard, Pavelich gagne un duel contre la bande avec Lebedev et envoie en échappée Harrington : le second gardien Myshkin peut prendre confiance par cet arrêt décisif. À la mi-match, Jim Craig prend deux minutes de pénalité pour avoir bloqué le palet dans une sortie hasardeuse derrière sa cage. En infériorité, Johnson part à 2 contre 1 avec Schneider, qui rate le cadre.

Les Américains regretteront-ils ces deux grosses occasions manquées ? Elles sont en effet rares, même s'ils restent bien en place tactiquement. Les Soviétiques contrôlent le jeu et la possession, dans un faux rythme qui calme l'euphorie du public et de l'équipe locale : la paire Vassiliev-Starikov en particulier a un jeu calme et propre, tandis que Makarov perce deux fois de suite le tandem Ramsey-Morrow. Cette opportunité, que les États-Unis attendent tant, se présente en troisième période quand Krutov est sanctionné pour une crosse haute en zone offensive (en fait un léger cinglage, plus anodin que celui qu'il a réalisé sur le premier but...). Bilyaletdnov, Vladimir Golikov et Petrov dégagent tout à tour le palet hors de leur zone et la pénalité semble filer... mais Dave Silk, en déséquilibre, envoie un palet désespéré à la cage. Starikov ne le contrôle pas et il file sur Mark Johnson qui égalise à ras glace (3-3). Hurlements de joie !

Plus rien ne semble impossible. Jim Craig est encore là pour signer un arrêt décisif devant Sergei Makarov, décalé par Zhlutkov, et 30 secondes plus tard, Mike Eruzione utilise le défenseur Pervukhin comme écran pour marquer d'un tir lointain qui passe sous le bras droit de Myshkin (4-3). Le coach Herb Brooks, réputé si dur envers ses joueurs, a le visage qui s'illumine : il peine à contenir un sourire de contentement, puis souffle pour dissiper l'émotion qui le submerge. Son vis-à-vis Tikhonov a le regard perdu. Quel héros inattendu qu'Eruzione ! Il y a de meilleurs patineurs et Brooks avait réfléchi à le remplacer avant le tournoi, mais cela aurait été mal vu pour l'équilibre sportif et diplomatique de l'équipe de remplacer un ancien de la Boston University pour ajouter encore un joueur de "son université" du Minnesota (il y en a déjà 9). Le capitaine Eruzione avait gardé le soutien de ses coéquipiers qui se sont prononcés pour son maintien.

Le destin tourne le dos aux Soviétiques quand, après un beau jeu en triangle de la quatrième ligne, la déviation de Krutov touche le poteau ! En pleine euphorie, les Américains se sacrifient dans leur zone, tel Morrow se jetant devant le lancer de Fetisov. Surtout, ils ferment bien leur ligne bleue avec quatre joueurs. Les Soviétiques sont sans solution tactique, envoient les palets au fond ou se lancent dans des tentatives individuelles sans espoirs. Petrov obtient une ultime occasion à la dernière minute, mais son revers est imprécis.

Les effusions de joie sont fantastiques dans une ambiance assourdissante. Après la phrase lancée dans les dernières secondes qui donnera son nom à l'évènement ("Croyez-vous aux miracles ? Oui !"), les commentateurs de la chaîne ABC - Al Michaels et Ken Dryden - restent silencieux pendant plus d'une minute. On pourrait dire qu'ils laissent savourer l'histoire en direct... si la télévision américaine n'avait pas retransmis ce match en différé, et avec des coupures, pour le diffuser en prime time à 20 heures ! Les États-Unis n'ont pas encore la médaille d'or autour du cou - il reste trois matches à jouer dans la poule et toutes les équipes peuvent encore gagner - mais ils ont marqué les esprits de tout un pays marqué par la guerre froide et en quête de héros. Lire aussi l'article de contexte : le "Miracle on ice".

Étoiles du match Hockey Archives : *** Jim Craig / ** Dave Christian et Vladimir Krutov / * Bill Baker et Mike Johnson

Marc Branchu

Commentaires d'après-match

Vladimir Yurzinov (entraîneur-adjoint de l'URSS) : "Tretiak était assez nerveux, et il n'était pas le seul à l'être. Mais il faut féliciter toute l'équipe américaine. Leur gardien était fantastique. Nos gardiens n'ont pas bien joué et notre défense n'était pas à son meilleur. Ce tournoi est très intéressant."

Jim Craig (gardien des États-Unis) : "Je suis heureux d'être aux Jeux olympiques. Être ici et battre les Russes, c'est incroyable. Il faut maintenir des équipes de ce niveau à trois buts ou moins. Je me suis dit que, si je perdais - et je les ai vus revenir vers moi mille fois - ce serait sur un beau but. Je ne voulais pas que quinconque dise que j'étais nerveux ou que je ne pouvais pas jouer les grands matches. Parfois ça peut passer pour de l'arrogance, mais nous avions confiance en ce que nous faisions. C'est la première fois que j'ai vu les Soviétiques paniquer. Ils patinent et passent mieux que n'importe qui dans le monde, mais ils ont juste balancé les palets en avant au lieu d'utiliser les courtes passes précises dont ils ont l'habitude."

Dave Christian (défenseur des États-Unis) : "Si près de la médaille d'or, nous ne partirons pas sans. Ce serait agréable d'avoir une autre médaille d'or à la maison."

Mike Eruzione (capitaine des États-Unis) : "Je me souviens que Mark Harrington a travaillé dans le coin pour sortir le palet vers Pavelich, qui l'a dévié dans l'axe. Je l'ai reçu à la ligne bleue et je pense que leur défenseur masquait le gardien, qui n'a pas dû voir partir le tir. Je suis encore un peu confus, tout est arrivé si vite. Je ne pense pas qu'on puisse mettre des mots sur ce que ça signifie. Mais je sais une chose, il reste un match avant d'accomplir notre rêve. Que je sois damné si je les laisse se relaxer maintenant. Tout le monde dans cette équipe est capable d'être capitaine. Je ne me considère pas comme un grand capitaine, juste un capitaine parmi d'autres. Je sais que je patine, tire et passe moins bien que d'autres, mais je crois toujours que, quand le palet est dans le coin, je vais pouvoir ressortir avec."

 

États-Unis - URSS 4-3 (2-2, 0-1, 2-0)
Vendredi 22 février 1980 à 17h00 à la Olympic Fieldhouse de Lake Placid. 8100 spectateurs.
Arbitrage de Karl-Gustav Kaisla (FIN) assisté de François Larochelle (CAN) et Nico Toemen (HOL).
Pénalités : États-Unis 6' (0', 6', 0'), URSS 6' (2', 2', 2').
Tirs : États-Unis 16 (8, 2, 16), URSS 39 (18, 12, 9).

Évolution du score :
0-1 à 09'12" : Krutov assisté de Kasatonov
1-1 à 14'03" : Schneider assisté de Pavelich
1-2 à 17'34" : Makarov assisté de Golikov
2-2 à 19'59" : Johnson assisté de Christian
2-3 à 22'18" : Maltsev assisté de Krutov (sup. num.)
3-3 à 48'39" : Johnson assisté de Silk (sup. num.)
4-3 à 50'00" : Eruzione assisté de Pavelich et Harrington
en noir, le rapport officiel ; en rouge, les compléments calculés par Hockey Archives
 

États-Unis

Attaquants :
24 Rob McClanahan (-1) - 10 Mark Johnson - 8 David Silk (-1)
25 Buzz Schneider - 16 Mark Pavelich (+1) - 28 John Harrington (+1, 2')
21 Mike Eruzione (C, +2) - 9 Neal Broten - 11 Steve Christoff (+1)
27 Phil Verchota - 15 Mark Wells - 19 Eric Strobel

Défenseurs :
5 Mike Ramsey (-1) - 3 Ken Morrow (-2, 2')
23 Dave Christian (+2) - 6 Bill Baker (A, +3)
17 Jack O'Callahan

Gardien :
30 Jim Craig (2')

Remplaçants : 1 Steve Janaszak (G), 20 Bob Suter.

URSS

Attaquants :
17 Valeri Kharlamov (-1) - 16 Vladimir Petrov (-1) - 13 Boris Mikhaïlov (C, -1, 2')
26 Aleksandr Skvortsov - 22 Viktor Zhlutkov (-1) - 19 Helmut Balderis (-1)
23 Aleksandr Golikov - 25 Vladimir Golikov - 24 Sergei Makarov (-1)
9 Vladimir Krutov (+1, 2') - 11 Yuri Lebedev (+1, 2') - 10 Aleksandr Maltsev (+1)

Défenseurs :
2 Vyacheslav Fetisov (+2) - 7 Aleksei Kasatonov (+2)
12 Sergei Starikov - 6 Valeri Vassiliev (A)
5 Vassili Pervukhin (-2) - 14 Zinetula Bilyaletdinov (-2)

Gardien :
20 Vladislav Tretiak puis 1 Vladimir Myshkin à 19'59"

 

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