Dave Henderson

 

Le background au Canada

Je suis arrivé à Amiens en 1975, avec l'intention d'y rester un an ou deux pour apprendre le français, et trois décennies plus tard, j'y suis toujours. À l'époque, j'étais à l'université anglophone, à Montréal, où mes parents s'étaient installés lorsque j'avais douze ans, lorsque la compagnie aérienne Air Canada a relocalisé le centre de maintenance national où travaillait mon père - il était auparavant dans ma ville natale Winnipeg. Je voulais prendre une année sabbatique pour mettre les études entre parenthèses et me consacrer uniquement au hockey sur glace, si possible en Europe. J'avais passé des essais en pro, un en AHL et un dans une autre ligue mineure depuis disparue, l'EHL je crois, mais ça n'était pas concluant. Je n'aurais pas pu faire carrière, même si à l'université et en juniors j'étais toujours dans les meilleurs marqueurs de mon équipe.

À l'été 1975, j'étais en stage à Pierrefond en compagnie de Philippe Duval, qui travaillait là et qui avait été entraîneur-joueur d'Amiens pendant une saison. C'est grâce à lui que je suis entré en contact avec le club. Amiens c'est à 80 kilomètres de l'endroit où est décédé mon grand-père lors de la Première Guerre Mondiale, donc c'était aussi un petit truc historique. À cette époque, je ne connaissais bien sûr rien du hockey français. Je savais qu'il y avait du hockey sur glace en France grâce aux Jeux Olympiques de 1968, mais sans penser qu'ils cherchaient des joueurs.

Entraîneur à tout faire

Initialement, je jouais et je m'occupais des seniors et des jeunes, mais je ne pouvais pas tout faire et j'ai fini par demander à ne plus entraîner l'équipe première. Le club a alors fait venir Gord Armstrong. Par la suite, je suis passé par tous les postes, j'ai encore entraîné les seniors pendant trois ans, puis les minimes, les cadets, et à nouveau les seniors de 1996 jusqu'au titre de 1999. Je suis devenu ensuite directeur sportif du club, j'ai encore entraîné les juniors, et la fédération m'a alors contacté pour encadrer l'équipe de France des moins de vingt ans, puis l'équipe de France senior en 2005.

Amiénois d'adoption

En 1980, je me suis marié avec une Amiénoise rencontrée deux ans plus tôt, Christine, et je me sentais de plus en plus chez moi en Picardie. Mais je voulais être sûr de l'endroit où je voulais passer ma vie, et je suis retourné au Canada pendant quelques mois. Je m'étais installé à Ottawa et j'y travaillais un peu, jusqu'à ce que le club me recontacte en février 1984 et que je revienne définitivement.

La montée d'Amiens dans l'élite

L'accession en Nationale B avait été faite par les anciens, qui avaient commencé quand la patinoire s'est ouverte en 1967. Ils avaient donc commencé le hockey tard, mais, toujours avec l'apport d'un étranger de bon niveau, et avec deux ou trois joueurs issus de la formation, ils sont arrivés à avoir de meilleurs résultats, et en 1975, ils sont montés en Nationale B. À partir de la troisième année, tous les jeunes qui avaient été champions de France benjamin, minime, cadet, puis ensuite junior, ont commencé à monter dans l'équipe senior. Je pense à Jean-Marc Pillot, Dominique Testu, Antoine Richer, Christophe Moyon, François Richer, Jean-Paul Farcy, William Fourdrain... Ils étaient nés dans les années 1960, 1961, 1962, 1963 et 1964 qui étaient un bon vivier. Les anciens qui avaient débuté le hockey tard ont commencé à être effacés, et la place était prise par ces jeunes-là. Avec ces jeunes on a ramé les premières années, et en 1980, tout le monde est arrivé à maturité.

Le président de l'époque Julien Burnay avait alors demandé ce dont on avait besoin pour monter en élite (Nationale A à l'époque). Il n'était pas forcément dans le hockey, mais il a su suivre nos conseils d'entraîneur. On lui a dit qu'on avait besoin d'un défenseur et d'un gardien. Il a donc pris la décision de recruter un défenseur étranger avec Dave Archambault - on avait le droit à un seul étranger mais j'étais devenu français - et un gardien qui venait de Montréal mais qui avait déjà joué à Clermont-Ferrand, Patrick Marchand. L'engouement d'une petite centaine de spectateurs a commencé à grandir, grandir au fur et à mesure que les résultats devenaient très bons. Le summum de cette équipe était de monter en élite, on l'a fait en 1982 et en plus on a fini avec le titre de champion de France de Nationale B. C'était la première fois pour une équipe senior à Amiens. En Nationale A, c'était plus dur parce que les jeunes n'étaient pas prêts pour l'élite, mais on s'est maintenu.

Le Coliséum

La construction du Coliséum, de 1993 à 1995, a amplifié le club qui a pris encore plus d'importance. 3000 places, piscine refaite, gymnase refait, salles de musculation... C'était un autre échelon. Le fait d'avoir une patinoire comme le Coliséum, une patinoire de dimension internationale, était indispensable. Il y a eu des pétitions dès les années 1980 pour que le club en ait une ! Le maire n'est pas arrivé en disant, tiens on a une bonne équipe de hockey on va construire une nouvelle patinoire. Il y avait toujours cet engouement, la patinoire qui faisait à peine 1000 places était toujours pleine, on ne savait plus où mettre les spectateurs. Lorsqu'on jouait à 20h, il fallait arriver à 17h pour faire la queue pour rentrer. C'était une réelle effervescence envers l'équipe. Le Coliséum était un long travail qui a pris dix années. Et c'était la récompense de tout le monde, pas seulement de l'équipe senior.

Champions de France

En 1996, j'ai repris les commandes de l'équipe, après avoir travaillé avec les jeunes. On avait un peu une équipe remodelée mais on avait quand même une équipe solide avec Pierre Pousse, Antoine Richer, Laurent Lecomte, Christophe Moyon, Serge Djelloul, Karl Dewolf... Et chez les étrangers, on avait Dave Reierson, Heikki Riihijarvi, Arto Vuoti, Roger Dubé - enfin lui était français mais était originaire d'Amérique du nord - et Patrick Deraspe. Et cette équipe-là a finalement gagné le titre en 1999. Et ça a été l'apothéose, pour tout ce qui a été fait depuis 1975. La petite patinoire, l'équipe du coin, avec les joueurs de la ville et l'apport des joueurs extérieurs, et il y a eu un élargissement du recrutement et puis ça a continué comme ça mais il y avait toujours cet apport des jeunes joueurs d'Amiens. Un peu moins qu'avant parce que l'équipe montait vite et que pour s'installer dans l'équipe, il fallait un peu plus...

Après 1999, ça a continué comme ça. Moi, j'ai quitté le poste d'entraîneur, et c'est Antoine Richer qui a repris l'équipe. Il a travaillé pendant deux-trois ans et en 2004, ils ont regagné le titre, contre Grenoble d'ailleurs. Et les équipes de jeunes continuaient à gagner, on continuait à former.

La continuité

Donc de 1975 à 2004 et jusqu'à aujourd'hui, ils ont continué à travailler avec les jeunes tout le temps, en mettant quelques-uns dans l'équipe première, quand ils le méritaient. Mais la chose qui a été la plus constante, c'est cet engouement pour le hockey. Parce qu'au début, on ne peut pas dire que le hockey s'était installé dans la ville, mais à partir du moment où tout le monde parlait de hockey, que la presse parlait du hockey, c'est devenu important dans la ville. Je dirais que le hockey a pris la deuxième place des sports à Amiens, après le football bien sûr.

Il y avait cet engouement grâce à cette montée graduelle et non pas du jour au lendemain, là il y a du monde lorsque tu es en haut et quand tu tombes t'es en bas et là il n'y a plus personne. C'était la construction d'un suivi du public par étapes et les gens sont restés fidèles. Bon, il y a eu une fluctuation, ça monte, ça descend, par rapport aux résultats bien sûr, mais il y a toujours eu ce noyau de fans de hockey qui supportent non seulement le club professionnel mais aussi les jeunes.

Le club a toujours voulu rester fidèle à ses origines, c'est-à-dire que l'on n'a pas lâché les jeunes, ce n'est pas que l'équipe senior, c'est aussi les catégories en dessous. Il ne faut pas mettre n'importe qui pour les entraîner, il faut qu'ils aient des heures de glace... Ça a toujours été une chose très forte dans le club et ça restera parce que l'élite, c'est la vitrine, mais le reste c'est aussi très important. C'est comme ça que le club est monté jusqu'en haut.

La rivalité Amiens/Rouen chez les jeunes

Personnellement, quand je suis arrivé, nos équipes de jeunes étaient meilleures que les leurs, on gagnait les matches largement, mais à partir du moment où ils ont commencé à investir avec les entraîneurs, Serge Evdokimoff, et après Luc Tardif, Daniel Maric, ils ont commencé à former les jeunes et c'est devenu des batailles loyales. Je me rappelle qu'il y avait un peu d'animosité, surtout entre les parents, pas entre les coachs.

Avec Luc Tardif on a discuté pour savoir comment on pouvait faire pour que nos deux clubs profitent de cette proximité. Avec les dirigeants des deux clubs, on a créé un challenge. On ne se rencontrait pas dans les championnats de Ligue, Normandie pour eux et Nord pour nous, donc on a créé ce challenge, en ajoutant Caen, Reims. C'était surtout sur les catégories benjamins, minimes et cadets. Et donc à chaque fois qu'on avait un trou, on jouait l'un contre l'autre.

Et plus on se rencontrait, plus il y avait une compétition saine qui se développait. Les gens, les parents, les arbitres, enfin tout ça, il y a toujours eu des petites frictions, mais à la fin quand je coachais face à Luc [Tardif], dès qu'on allait à des tournois en commun, il nous arrivait de partager le bus pour y aller. Les deux équipes dans le même bus, on l'a fait je ne sais pas combien de fois.

Pour que l'une réussisse, il fallait que l'autre soit là, je crois... Enfin, je veux dire que l'on s'est aidé mutuellement à monter dans le hockey mineur, ce qui a aidé le hockey majeur. Il y a eu cet engouement dans le hockey des jeunes entre Rouen et Amiens. On joue contre Rouen ce week-end, on va aller chez eux... Ils nous envoient trois équipes chez nous, on leur envoie trois équipes chez eux... Et puis on suivait ça, on disait les résultats. L'objectif était de battre l'autre mais ce n'était pas méchant, c'était une compétition. Et entre nous on se voyait régulièrement et de temps en temps on voyait les petites choses à corriger au niveau de la mentalité des gens, et on essayait d'apaiser ça.

Tout ça a fait que l'on a pris de l'avance sur les autres clubs qui sont restés à ne pas vouloir jouer trop souvent contre l'autre parce qu'on allait le rencontrer en finale, mais non il fallait démystifier le truc. Et puis Amiens et Rouen ont partagé les titres en jeunes pendant pas mal d'années. Plus les équipes performantes joueront entre elles, plus les équipes vont devenir fortes, et plus les joueurs vont rencontrer de bons joueurs, plus vite on aura des joueurs de haut niveau. Et c'est ce qu'on a fait entre Amiens et Rouen. Et ça a marché. C'est la seule solution que l'on a trouvée parce qu'on était proche. Après, il y a peut-être d'autres solutions.

La rivalité Amiens/Rouen en seniors

Elle a commencé quand ils sont montés en 1985, on y allait mais on les battait. Une année, ils se battaient avec Viry-Châtillon pour la descente. On était ni pour l'une, ni pour l'autre mais on a perdu à Rouen, sans faire exprès, ils nous ont mis une bonne claque (8-2) alors qu'on était quatrièmes. On a perdu chez eux, mais ils étaient plus motivés ce jour là ! Le mardi précédent, on jouait à Viry-Châtillon et on les a battus. Ça a fait descendre Viry-Châtillon, et si on avait battu Rouen et perdu contre Viry, ça aurait fait l'inverse. C'était peut être le tournant de la page pour Rouen, pas pour nous. Mais tant mieux ! Après c'est dommage pour Viry-Châtillon, parce que c'est un club qui forme toujours les jeunes. Ils ont plus de mal en ce moment depuis que leur patinoire a cramé...

Mais l'année qui a tout déclenché, je pense, c'est l'année 1989, où Rouen était en tête toute l'année. Et on s'est retrouvés en demi-finale face à Rouen et on les a battus dans leur patinoire, en allant jusqu'à la prolongation. Cette année-là, c'était vraiment... Il fallait qu'ils nous battent l'année d'après... Ce qu'ils ont fait d'ailleurs (rires). En demi-finale aussi.

Ensuite, le fait qu'il n'y ait plus que 6 équipes faisait qu'on se rencontrait 6 fois dans la saison. Il y avait d'énormes rivalités qui se sont créées. Les joueurs étaient connus de tout le monde. Les supporters de chaque équipe connaissaient tous les joueurs. Ça a resserré les joueurs français dans 5 à 6 équipes, ceux qui étaient en équipe de France. Quand Rouen venait, tout le monde connaissait tous les joueurs de Rouen, maintenant, ils viennent une fois par saison, peut être deux s'ils jouent la coupe de France ou la coupe de la Ligue. S'ils jouent les play-offs, là, il peut y avoir des bonnes rivalités comme il y a eu avec Amiens et Angers, pendant un moment donné, ou Amiens et Lyon. Et puis il y a des rivalités qui font venir du "peuple" dans la patinoire. Et c'est une partie importante, dans ces années-là, des clubs de Rouen et Amiens.

Le meilleur souvenir

Il est difficile de dégager un meilleur souvenir de toutes ces années. Bien sûr, il y a eu le titre de champion de France senior, qui était important pour Amiens, mais il y a eu d'autres titres de champion de France en cadets ou en juniors, et aussi la montée en championnat du monde élite des moins de vingt ans. Mais mon meilleur souvenir, n'est-ce pas le premier but marqué par mon fils Brian, lors d'un tournoi moustiques à Viry-Châtillon ?

D'autres bons souvenirs, ce sont toutes ces histoires qui nous font bien marrer à chaque fois qu'on y repense, même si sur le coup c'était une mésaventure. Lors d'un déplacement à Togliatti en EHL, nous avions raté l'avion qui devait nous emmener de Roissy à Moscou. La porte d'embarquement avait été changée, puis il avait été décidé de revenir à l'ancienne porte, mais nous n'avions pas été prévenus car le haut-parleur ne marchait pas. Avec six de mes joueurs, nous avions donc dû prendre le vol suivant et nous sommes arrivés avec quatre heures de retard. Toujours en EHL, il y a la fois où Olivier Duclos avait oublié ses patins pour aller à Vsetín, et où on avait dû lui prendre des patins de location.

Le pire souvenir

Je ne peux pas dire que j'ai de mauvais souvenirs dans le hockey. Il y avait la défaite en prolongation dans le championnat midget du Québec, mais c'est loin. Bien sûr, je me suis cassé la mâchoire, j'ai eu quelques blessures, mais j'ai à chaque fois retrouvé la glace avec plaisir. Et même les finales perdues ont été finalement suivies d'une victoire, par exemple celle contre Grenoble en 1998. Elle a été jouée dans un environnement passionnel, mais c'est bien, il ne faut pas que cela soit fade. Les joueurs ont besoin de passion, les entraîneurs ont besoin de passion, les spectateurs ont besoin de passion. Il ne faut pas qu'il y ait de débordements, bien sûr.

Les personnalités marquantes

À vrai dire, je n'aime pas parler de moi. Des gens qui m'ont marqué durant mon séjour dans le hockey français, il y en a beaucoup. Je pense en premier lieu à Michel Galarneau, quelqu'un qui travaillait tout le temps, mais aussi à Dave Reierson, Antoine Richer, Pierre Pousse ou encore Vladimir Zubkov. Mais je préfère ne pas faire d'énumération, car il y en a tellement, et je ne veux oublier personne.

Propos recueillis par Marc Branchu, 2004, et par Yann Lecoq, 2009

 

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