Mémoires de Gilbert Ledigarcher

 

Le cœur en jaune et vert

J'ai commencé le hockey au club des "Sports de Glace Athis-Paray", avec lequel j'ai continué à m'entraîner par la suite car mon père y était dirigeant. J'étais très grand ces années-là, on m'appelait "l'asperge". Dès ma deuxième saison de hockey, j'ai joué à Viry-Châtillon, où j'ai passé une grande partie de ma carrière. J'y ai fait tout mon hockey mineur et je suis devenu champion de France junior en 1976 sur la patinoire de Gap. À 16 ans, j'ai commencé aussi à entraîner les équipes de jeunes à Viry parce que Patrice Pourtanel m'a poussé à le faire.

J'ai joué en Nationale A et en Nationale B à Viry, et j'ai beaucoup appris aux côtés de mes entraîneurs de ces années-là, Paul Lang et Patrice Pourtanel. Viry, c'était mon jardin d'enfant. Le jaune et le vert étaient pour moi les seules couleurs qui pouvaient exister.

Absorption puis dissidence

Je suis ensuite retourné jouer en Nationale C à Athis-Paray, où j'étais l'assistant de Jean-Pierre Benon. En 1982, Viry-Châtillon souhaite créer une équipe-réserve pour la faire monter en Nationale B, et fusionne alors avec le SGAP qui est absorbé en totalité. Je joue alors en équipe 2 de Viry avec Laurent Lecomte et Patrice Pourtanel, et nous sonnes promus en devenant champions de Nationale C.

Mais, en 1983-1984, je m'en vais de Viry pour créer le HCAP, le Hockey-Club Athis-Paray, dont j'ai été un des fondateurs avec Jacques Muller et des parents mécontents qui en avaient ras-le-bol. En effet, j'entraînais à l'époque les poussins 2 et benjamins 2 de Viry sur un tiers de patinoire, alors que dans le même temps il n'y avait plus de hockey dans la patinoire voisine d'Athis-Paray. Je suis parti avec 50 gamins, ce qui a été très mal vu par le clan Pourtanel qui commandait Viry sans supporter la contradiction et qui m'en a tenu rigueur. Ce fut un divorce qui aurait des répercussions plus tard... J'ai vite succédé à Jacques Muller pour devenir entraîneur-président du HCAP, ce club constitué de "rebuts" jugés pas assez bons pour Viry.

Nouveau venu mal vu à Orléans

En juin 1989, Lionel Depois, président de l'US Orléans, me contacte. Je profite d'un changement de situation familiale (divorce) pour reconstruire une nouvelle vie à Orléans, où j'arrive en septembre comme joueur et entraîneur du hockey mineur. Trois mois plus tard, le club explose ! Le président décide en effet de virer l'entraîneur canadien Mark McGuire, parce que nous ne nous sommes pas qualifiés pour les phases finales de division 3, barrés par Yerres. On m'a alors nommé entraîneur, mais cela n'a pas plu aux joueurs locaux qui se sont mis en grève. Commence alors le genre de conflit qui pourrit bien les associations, entre ceux qui sont là depuis de nombreuses années et ceux qui viennent d'arriver et découvrent.

Quelques années auparavant, le joueur orléanais Jean-Pascal Schneider avait pris un coup de patin dans la gorge contre la réserve de Viry, dont j'étais alors le capitaine. Je n'avais participé en rien à l'incident ni aux échauffourées, et comme j'étais naïf, je pensais que ça n'allait pas me poursuivre quand j'ai rejoint Orléans. Mais pendant pas mal d'années on m'a fait le reproche d'avoir été dans cette équipe.

Un héritage manquant

Il faut savoir que l'USO avait déjà connu un séisme en 1987 avec le dépôt de bilan. L'équipe qui avait connu la Nationale B et la Coupe de France était surtout constituée de pièces rapportées, qui n'ont pas eu beaucoup de restes. Ceux qui ont connu cette époque n'y avaient pas vraiment participé. Ils se croyaient peut-être beaux mais n'étaient pas si beaux que ça. J'ai dû vivre avec ce passé-là.

C'est la grande différence avec une ville comme Tours où des joueurs venus d'ailleurs se sont mariés et sont restés et ont eu leurs enfants dans le milieu du hockey : Martin Bouliane, Eugène Levêque, Normand Roy...

Il ne reste aucun héritage des années 80 à Orléans, à l'exception de Garry Reddy, qui a épousé une fille du coin. Après avoir joué dans le sud, notamment en Avignon, il est revenu s'installer ici en 1999/2000, à une époque où il n'y avait plus d'équipe. Il a repris une licence en 2005/06, mais ne s'investissait pas. Récemment, je lui ai demandé de rentrer au Bureau Directeur, et il a accepté de m'accorder son aide pour la montée en D2 : il sera responsable du hockey masculin.

Mal à l'aise au volant d'une Ferrari

En 1998/99, Orléans met en place une grosse équipe avec le Tchèque Petr Havlicek et deux Suédois, le gardien Anders Åslund et le fils de l'ancien sélectionneur national Mikael Lundström. De plus, le président Lambert prend seul la décision de faire venir comme gardien Jérôme Pourtanel. Je le connais évidemment très bien, tout comme son frère Benoît, car je les ai connus tout petits. Je les ai gardés quand Patrice et sa femme sortaient le soir, je les ai habillés, déshabillés et torchés.

Jérôme a fait venir des joueurs de son cercle proche comme Laurent Veret et Stéphane Rioux. Très rapidement, il est entré en guerre avec le gardien suédois, son concurrent, qui est reparti. Ensuite est venu son père Patrice Pourtanel, comme conseiller du président. Dès que j'avais appris l'arrivée de Jérôme, je savais que mes heures étaient comptées car les Pourtanel sont des gens rancuniers. Ce sont des gens intéressés pour commander et qui ont soif de pouvoir. Vite, ils ont été très entreprenants avec un travail de sape à mon égard.

Cette année-là, j'étais mal dans ma peau. Je conduisais une Ferrari alors que je n'avais pas le permis et que je ne savais pas contrôler une grosse cylindrée. Nous avons fait de bons résultats et nous avons terminé vice-champions de France de division 3 (promus en D2), mais je n'y ai pris aucun plaisir. Une toile s'était tissée autour de moi, et elle a fait effet entre juin et septembre.

Je suis démis de mes fonctions à la rentrée, pour raisons économiques parce que j'ai un gros salaire. Le club a des démêlés avec la justice et il faut dégraisser le mammouth.

À cette époque, je ressemblais plus à un zombie qu'à un entraîneur de hockey. J'avais passé dix ans de ma vie à monter quelque chose qui s'effondrait tout d'un coup. J'ai vécu une période de grande déprime, une vraie traversée du désert.

L'implosion du hockey orléanais

Une guerre de clans a fait rage en 1999 entre mineur et majeur. Le genre de guerre qui ne fait pas de vainqueur. Tout le monde y a laissé des plumes et le hockey n'en est pas sorti grandi.

L'US Orléans s'engage en D2, mais il ne lui reste que 6 enfants. Leurs parents ne les ont pas réinscrits. Ils ont formé un comité et obtenu le soutien de la mairie et du conseil général, à qui ils ont démontré le mauvais fonctionnement du club. En septembre, ils portent réclamation auprès de Didier Gailhaguet, alors président de la Fédération Française des Sports de Glace. En octobre/novembre, ils montent un club en parallèle, l'OLHG (Orléans Loiret Hockey sur Glace). La bande Lambert-Pourtanel poursuit alors une aventure suicidaire, simplement pour ne pas perdre la face.

En décembre, Didier Gailhaguet, après avoir pris conseil auprès du DTN Patrick Maurin, a tranché : il interdit le championnat au club d'Orléans puisqu'il n'a pas d'équipes mineures. En même temps, le tribunal prononce la liquidation de l'USO pour raisons financières. En même temps que l'extinction de l'ancien club, le 19-20 décembre 1999, la fédération reconnaît le nouveau.

Les mercenaires sont repartis sous d'autres cieux : Havlicek à Romorantin, Pourtanel et Veret en direction de Neuilly-sur-Marne pour monter la grosse équipe qui a ensuite grimpé de D3 jusqu'en Magnus. On a fait table rase du passé et de tout ce qui concernait l'USO. Les indésirables sont partis monter un club de roller-hockey dans une ville voisine, Saint-Jean-de-la-Ruelle, où jouait Jérôme Pourtanel.

Lorsque j'ai réintégré la patinoire, il n'y avait plus de matériel, plus de maillots, plus rien. Il fallait redémarrer le club à zéro.

La reconstruction

Le club comptait alors 80 licenciés, joueurs et dirigeants inclus. Il n'était tenu que par des parents qui découvraient le hockey, tel Olivier Ruffier qui est aujourd'hui président. Ils m'ont pris comme entraîneur vacataire. Comme le hockey mineur était resté solidaire de moi, je me sentais redevable envers eux.

Les équipes s'arrêtaient aux minimes. Les Numa Mineur, Arthur et Morgan Noale, qui étaient dans les gradins pour la montée en D2, jouaient alors en benjamins ou en minimes. Et c'est pour cela que, onze ans plus tard, ils auront à cœur de monter leur équipe en D2, sur quelque chose de solide. Le club d'Orléans, c'est une aventure humaine. Les joueurs ne se voient pas que pour le hockey. Quand j'en croise un en ville, les autres ne sont pas loin. Ils sont tout le temps ensemble.

En 1989, la municipalité et le conseil général ne voyaient plus le club de hockey d'un bon œil et envisageaient de tirer une croix sur la discipline. Il a fallu reconquérir la confiance des collectivités et des partenaires. Orléans n'est pas une grande ville, tout circule vite. Depuis 2000, il a fallu prendre son petit courage à deux mains. Reconstruire tout à Orléans, quand il n'y avait plus rien, a pris beaucoup de temps car les gens autour ne connaissaient pas le hockey.

Heureusement, j'ai eu la confiance de la fédération. Je me suis occupé du Plan National de Développement avec Alain Vinard et Thierry Monier. J'étais en charge des sélections et j'entraînais l'équipe régionale.

Thierry Monier

Durant toute cette époque difficile, j'ai été accompagné de Thierry Monier. Je l'avais très souvent au téléphone, j'étais souvent hébergé chez lui quand je montais sur Paris. C'est la personne qui m'avait fait passer tous mes diplômes fédéraux. Il a été important dans la reconstruction sportive du club, il n'était pas avare de conseils. Il avait une philosophie sur la vie, sur le hockey et sur les personnes qui gravitaient autour. Il tenait des discours assez forts.

Qu'il se soit fait tirer comme un lapin dans son bureau en signant le chèque des arbitres, on navigue vraiment aux frontières du réel. Je l'appris le lendemain matin, et j'ai eu Thierry au téléphone deux-trois jours plus tard. Tous ceux qui le connaissent savent qu'il a beaucoup d'humour. Je lui ai fait "Pan" et il m'a répondu "T'es vraiment un con ! C'est qu'il a failli me tuer ce con-là !"

Il a été sacrément secoué par ce qui s'est passé et il est ensuite tombé dans l'alcool. Je l'ai encore eu huit jours avant son grand départ, il était content de se faire opérer et il avait des projets. Il aura vraiment connu une fin qu'on ne souhaite pas à son pire ennemi.

Peut-être qu'un jour Thierry Monier entrera dans le cercle des sportifs de haut niveau et des personnages qui ont marqué le hockey français. J'ai vu que la FFHG avait créé un Temple de la Renommée. Il mérite cette reconnaissance.

Mansour Bazoukov, le "tireur fou"

Il se trouve que j'ai été une des premières personnes en France à rencontrer Mansour Bazoukov [l'homme qui a tiré sur Thierry Monier]. Il faisait du stop. Je l'ai emmené Place de l'Étoile, il habitait le Plessis-Robinson. Je me souviens que je l'avais pris chez lui pour le faire venir à la patinoire d'Athis-Paray. Il nous avait fait un entraînement à la russe avec les méthodes de là-bas. Il apportait une expérience nouvelle.

Par coïncidence, l'entraîneur qui m'a précédé à Orléans, c'était Mansour Bazoukov. Il a ensuite travaillé à Valenciennes et à l'ACBB. Le hockey français étant un petit monde, je savais ce qu'il était devenu : il était sur Garges et dormait dans sa bagnole, il était un peu le SDF du hockey.

C'est triste de régler ses comptes avec le hockey français en tirant sur une personne qui n'a plus aucun pouvoir. La veille, Bazoukov était à la fédération et cherchait Patrick Francheterre, qui était l'alter ego de Thierry. Heureusement, il ne l'a pas trouvé. Vu leurs épaisseurs respectives, la balle aurait glissé plus dans sa chair que dans le gras de Thierry, et il y serait resté.

Il est allé en prison, mais il en est sorti car il était malade. Dans ces cas-là, on considère toujours que la sanction n'est pas à la hauteur de la disparition des personnes. C'est grave qu'il soit toujours dehors.

Tours-Orléans, un derby particulier

À la création de la fédération en 2006, des ligues ont été formées par régions. Au sein de la Ligue du Centre, on a convenu de s'associer avec le club de Tours, sous l'étiquette Val de Loire, dans la catégorie cadets. En effet, on s'entend bien avec Normand Roy, qui dirigeait le hockey mineur à l'ASGT et qui doit aujourd'hui entraîner le nouveau club. On a fini champion en cadet excellence puis on fait une saison en cadet élite, avant que le divorce ne soit consommé entre deux clubs à la mentalité trop différente.

Nos deux clubs se haïssent sans savoir pourquoi et répercutent des rivalités que l'on constate aussi dans d'autres sports. Les derbys sont à haute tension. En D3, face à la réserve de Tours, les semaines autour des derbys ont été désagréables à gérer. J'aime autant ne pas les avoir dans mon championnat. Heureusement que certains joueurs ont vécu un championnat de France cadet excellence ensemble et que Normand Roy et moi avons de bonnes relations, cela a permis d'apaiser un peu les tensions. J'espère que le sport pourra dépasser ces guerres de clocher. Malheureusement, il reste des gens comme Yvon Bourgaut qui restent sur leur position de Tourangeaux de toujours et ne veulent pas entendre parler d'Orléans.

La pyramide rebâtie

On travaille fort chaque année sur le recrutement des jeunes, car on n'est pas en Ile-de-France où l'on peut s'associer, on n'a pas de voisins géographiques. On a atteint les 200 licenciés, même si on est redescendu à 190. On a des équipes dans toutes les catégories jusqu'aux cadets. Elles figurent bien dans le championnat Ile-de-France, qui est intéressant car on y joue régulièrement.

On développe un esprit ludique où tout le monde participe, on s'inscrit pleinement dans le Plan de développement de la fédération. Les résultats en U11, on ne les regarde pas trop. On s'occupe de fidéliser les jeunes à la discipline quand ils sont dans une période de sport-zapping.

On place des joueurs en équipe régionale. Quand les quatre régions françaises alignaient 25 joueurs et non pas 12, on arrivait toujours à en placer un ou deux dans la sélection finale.

Les U18 jouent toujours en excellence, c'est notre tremplin. Il nous manque la taille intermédiaire, les U22. On fait l'impasse car les rencontres se jouent le dimanche soir en région parisienne, et que cela fait rentrer les joueurs très tard. Dans deux saisons, on aura une montée de génération en espoirs et on envisagera de former une équipe. On verra alors où en sera Tours, le temps qu'ils se refassent, pour remonter une association au niveau des espoirs et faire rebondir le hockey dans la région Centre.

La promotion de D3 en D2

La montée, c'est un projet qui a pris cinq ans. En 2006, on joue le carré final D3 à Brest, où l'on termine quatrième derrière [la réserve du] Mont-Blanc, Brest et Clermont-Ferrand. On est en pleine construction d'équipe. Je préconise alors aux dirigeants de prendre un ou deux joueurs de plus. Ils ne sont pas convaincus. L'année d'après, nous terminons seizièmes de la division, à la dernière place de notre poule en phase finale.

Il y a dès lors une prise de conscience des dirigeants qu'il faut étoffer l'équipe, ce qui sera fait en 2008 avec Brandis et Tomasik. On s'aperçoit vite que leur apport est positif et qu'on a les moyens de rivaliser. On survole un peu les débats en D3, mais la première année, on tombe sur Anglet avec ses anciens de l'élite. En deux saisons (2008/09 et 2009/10), on subit 3 défaites en 40 matches, dont 2 contre Anglet. La troisième est plus anecdotique contre l'ACBB, avec des absents de notre côté. Cette défaite venait au bon moment pour se remobiliser à deux semaines du carré final.

On avait obtenu de la fédération l'organisation du carré final, mais aussi la venue du président de la FFHG Luc Tardif pour parler avec le maire d'Orléans. Notre maire adore le patinage artistique, mais il était à Vancouver où il a assisté aux demi-finales et à la finale des Jeux Olympiques. Il s'est ainsi mordu au hockey. C'était un évènement très important pour nous.

Ce carré final est évidemment un grand souvenir. Il y a eu ce fameux but à la dernière seconde de Maksim Brandis contre Metz (4-3). Ensuite, le match contre Toulon (4-7) nous permet de voir nos lacunes défensives : on n'avait jamais été en difficulté en deux ans car même contre Anglet on avait fait jeu égal défensivement. En plus, notre gardien Arthur Noale n'était pas au top de sa forme avec sa blessure. Et puis, lors de la dernière journée, on bat Belfort (8-5) et surtout Toulon bat Metz (3-2), ce qui nous assure la deuxième place et la promotion. C'est le plus grand moment de ma carrière, dix ans après la destruction totale.

Les projets en division 2

Tous les joueurs sont restés, sauf trois d'entre eux qui ont arrêté. On a renforcé le secteur défensif avec trois jeunes Slovaques venus de deuxième division, deux jeunes défenseurs et le gardien Marek Pastorek pour amener de la concurrence saine avec Arthur Noale et passer au rythme de la D2. En attaque, il nous fallait du lourd et on en a trouvé avec Pavol Milec qui a joué en Extraliga slovaque et n'avait pas été ridicule lors de sa saison à Dijon. Il sera notre chef d'orchestre.

Les Renards [surnom du club] changent de tanière mais ont les dents longues. On va chercher les play-offs et pas les deux places qui conduisent en poule de relégation. On va jouer chaque match pour faire une performance, on veut accrocher des gros.

Propos recueillis par Marc Branchu, 2010

 

PS : un an plus tard, après une première saison difficile en D2 pour l'USO, Gilbert Ledigarcher et Jérôme Pourtanel se réconcilieront et travailleront ensemble pour le hockey à Orléans.

 

Retour à la liste des mémoires