Mémoires de Bernard Le Feuvre

 

Les débuts du hockey à Rouen

J'ai commencé aux Houches où on jouait au hockey avec mes copains. J'avais habité Rouen et je suis revenu par la suite à Rouen où l'on avait une petite patinoire dans un bâtiment pour la foire des expositions sur l'île Lacroix. On y jouait souvent et un jour j'ai décidé de créer un club. Au départ, je ne voulais ouvrir qu'un club de hockey mais la mairie m'a demandé de monter un club "olympique" pouvant ainsi regrouper plusieurs sports, le "Rouen Olympic Club" était né. Le R.O.C. existe toujours (natation), mais le hockey en est sorti en 1978 pour former le "Rouen Hockey Club" (R.H.C.).

En avril 1970, j'étais venu habiter l'île Lacroix, au plus près de la patinoire, et puis, en novembre, le jour où ils ont réceptionné la patinoire, les dirigeants fédéraux sont allés déjeuner, et lorsqu'ils sont revenus, la patinoire était en feu. Elle devait ouvrir en décembre 1970 et on l'a ouvert fin 1971. La mairie gérait la patinoire, et ils m'ont dit "bon, ok, on vous a donné une belle patinoire, vous y faites du hockey mais vous jouez sans puck parce que vous allez abîmer les balustrades". Du coup, au début, on a fait du hockey en jouant avec des ballons. Mais on a tout de même fini par sortir des crosses et des pucks !

À l'époque, le maire était Jean Lecanuet, il m'a dit en montrant une réticence "Vous amenez un sport de voyous à Rouen et je n'aime pas du tout, vous verrez". Alors que ce sport est loin d'être un sport de "voyous". Ce sont les médias qui, lorsqu'ils montrent une image de hockey, ne retiennent que les trois coups de poing du match, alors qu'il y a quand même de jolies choses au hockey, beaucoup plus même que dans d'autres sports comme le foot. Quand on voit la vitesse du jeu, c'est le plus rapide de tous. C'est un sport très complet.

Je me suis occupé du club de 1973 à 1983, donc pendant 10 ans. En 1983, j'ai quitté Rouen définitivement [pour raisons professionnelles] mais je suis toujours resté en contact. Maintenant, je suis à la retraite depuis un bon moment, mais j'occupe mes journées à faire du ski et des sorties en raquettes.

La municipalité

Lorsque je suis arrivé, la municipalité m'a donné une subvention de 4 000 francs par an mais on me faisait payer la glace. Et j'en avais pour plus de 4 000 francs de glace donc j'étais déjà en déficit. Pour trouver des finances, on a organisé des courses de mobylettes sur glace. Ça remplissait la patinoire. On organisait des poursuites où les hockeyeurs devaient rattraper les mobylettes. Et c'était vraiment plein, l'entrée n'était vraiment pas chère mais on rentrait un peu d'argent.

Les deux premiers équipements de hockey, je me rappelle, je les ai payés mais je n'ai jamais demandé rien à personne. J'ai acheté des jambières, des coudières... et deux équipements de gardien. Ce n'était pas du matériel de grande qualité mais ça suffisait pour que l'on commence le hockey.

Pour en revenir à la municipalité, j'avais la chance de connaître un copain de lycée, qui lui, était devenu le bras droit de Lecanuet [le maire], donc dès que je voulais avoir un rendez-vous avec lui, au lieu d'attendre deux mois comme c'était de rigueur, j'avais des délais de 48 heures environ. Par contre, il nous avait nommé un directeur de la patinoire qui ne nous a pas aidés, il n'était pas hockey. D'ailleurs, un jour je lui ai écrit et je lui ai porté la lettre, pour lui montrer que j'aime bien voir les gens qui lisent les lettres que je leur écris, et si cela ne leur plaît pas, j'aime qu'ils me le disent directement.

Le forfait comme punition

En 1978, tout début janvier, on avait un match au Vésinet et on était premier ex-æquo. Et dès le début de la semaine, un joueur m'a dit qu'il ne serait pas là. Et puis, tous les jours, j'en avais un ou deux qui ne pouvaient pas venir, il y en avait un dont la grand-mère était malade, etc. Mais j'ai quand même fini par découvrir qu'il y avait une soirée organisée par notre ami, Monsieur Robert Lemoine [le président du club], le samedi soir. Et donc les joueurs savaient qu'ils allaient faire la fête et qu'ils ne seraient pas en état de jouer le lendemain (le dimanche soir). Je me suis retrouvé avec une équipe de seulement neuf joueurs, et même en nous équipant, François [Legay, son acolyte des premières heures du hockey rouennais] et moi, car ça nous est déjà arrivé de nous équiper quand c'était nécessaire, nous n'étions pas assez pour jouer le dimanche.

J'ai donc vu le samedi soir que j'étais obligé de déclarer forfait. J'ai donc téléphoné au président [de la FFSG] Jean Ferrand, qui était à Gap, pour lui dire que nous étions forfait, ce qui coûtait tout de même assez cher à l'époque. Monsieur Ferrand a été très gentil car le lundi suivant, il m'a téléphoné pour me dire que comme le club de Rouen n'était pas très riche, il prenait en compte le forfait mais il ne demandait pas le versement de l'amende.

Le lundi soir, les joueurs sont arrivés pour s'entraîner comme si de rien n'était. Je leur ai demandé où ils allaient, ils m'ont répondu qu'ils venaient pour s'entraîner. Je leur ai répondu qu'il n'y avait pas entraînement. Là, ils ont été étonnés et m'ont dit qu'ils n'étaient pas au courant. Je leur ai alors expliqué qu'hier, il y avait match et que je n'avais vu personne et que donc j'avais dû déclarer forfait et que ça coûtait "tant" au club. Leur réponse a été de dire qu'ils me rembourseraient. Mais je leur ai fais comprendre qu'on ne "m'achetait" pas, qu'ils pouvaient prendre leur sac, que la porte était là-bas et que la saison était finie ! Et donc, je les ai virés sur toute la saison restante : janvier, février, mars et avril !

Et de ce jour là, les petits longeaient les murs. François (Legay) m'a dit "On entendrait les mouches voler aux entraînements". Les seniors ont continué par la suite à venir aux entraînements mais ils n'avaient pas de matches. J'ai déclaré forfait pour la saison, alors que c'était la première fois que nous étions premiers.

Les compliments de "Pete"

J'ai une anecdote sur un déplacement à Strasbourg [phase finale de Nationale C 1981]. On était menés à la fin du deuxième tiers, 10 à 5. Et en face de nous, sur le banc de Strasbourg, le coach était Pete Laliberté, qui était aussi entraîneur de l'équipe de France. On était juste à côté, on avait juste un petit muret. Il m'a tapé sur l'épaule en me disant "T'as vu, hein, 10-5...". Il ne me semble pas que François était avec moi ce jour-là. Il était des fois avec les cadets à la Roche-sur-Yon, et moi j'étais sur un autre match.

J'ai remonté les joueurs, ce jour-là, je leur ai dit que gagner, ça serait difficile, mais qu'il fallait au moins faire meilleure figure. Et j'ai eu deux ou trois joueurs qui m'ont dit : "Bernard, on va crever sur la patinoire s'il le faut mais on va remonter !" On a fini le match à 10 à 10 !

Et à la fin de la rencontre, Pete m'a tapé sur l'épaule et il m'a demandé ce que j'avais dit à mes joueurs. Je lui ai expliqué que je les avais engueulés comme jamais je ne les avais engueulés. Il m'a répondu que ça avait dû être dur pour eux, parce qu'ils ne pensaient pas en reprendre cinq ! Il m'a dit qu'on pouvait dire que j'avais pratiquement gagné le match. C'était un super résultat, surtout en sachant que certains des joueurs d'en face jouaient en équipe de France junior. Alors que nous, on avait des bras cassés, enfin, quand ils appliquaient ce qu'on leur disait, ça jouait bien. On revenait aux choses simples. Il ne faut pas compliquer le hockey.

Nous avons eu la chance d'avoir un excellent gardien, Christophe Goëchon, qui nous a sauvé des situations, c'était extraordinaire. C'est un gars, pour moi, il perdait 5-6 kilos pendant un match. Il y a un de ses enfants qui a joué aussi. C'est amusant parce que maintenant je retrouve les enfants de joueurs que j'ai eus. Ce qui est bien car ça prouve qu'il y a une continuité.

Rouen et Chamonix

Quand j'ai ouvert ici, je connaissais pas mal de monde à Chamonix, et ils m'ont dit : "ça ne marchera jamais ici, ça ne marchera jamais". Je leur ai répondu : "On en reparlera, je vous dis, on en reparlera !"

Et puis un soir, en 1995, quand ils se sont pris une dizaine de buts [en finale], je suis donc allé les voir et je leur ai dit : "Bah tu vois que ça marche finalement !". Pour l'anecdote, lorsqu'ils sont arrivés, ils sont venus me voir en me demandant si je pouvais leur faire faire un affûtage. Je leur ai répondu : "À l'époque, lorsqu'on était un petit club et que votre président Cochet disait : 'mais Rouen, c'est où sur une carte ?'. Maintenant, vous arrivez dans une patinoire, dans un club structuré, pour une finale de championnat de France et vous avez des patins pas affûtés ! Bon, écoutez, je suis bon joueur, je vais vous les faire affûter, vos patins." Et j'ai appelé François [Legay], je lui ai dit : "Sois gentil, ce sont des laboureurs qui arrivent, ils ont des patins pas affûtés, est ce que tu peux me les affûter ?" Il a bien sûr accepté, et après avoir fait la deuxième paire, il m'a même dit qu'il avait aussi resserré les vis parce que les lames de patins ne tenaient pas.

L'argent

On gérait avec rien. Pour les déplacements, j'avais un fils qui jouait. Quand il a eu 18 ans, il a eu une voiture. Donc on était avec deux voitures, mais on ne pouvait pas en prendre plus de trois par voiture. On allait jusqu'à Brest, Dunkerque... Maintenant, ça coûterait cher de faire de tels déplacements. Bon, pour des déplacements jusqu'à Strasbourg, on prenait toujours un bus.

Il ne faut pas "se laisser monter la tête" parce qu'on s'était décarcassé, François y a passé des heures, des heures et des heures, il y a gâché sa vie dedans. Il y a dépensé des sous énormes. Quand on se déplaçait, on s'arrêtait toujours aux premières aires d'autoroutes pour manger un morceau ensemble, et qui payait les additions, en principe, c'était nous, il n'y avait plus personne au moment de payer. Tout ça pour dire que le hockey, ça nous a coûté beaucoup d'argent. Alors que maintenant, ils gagnent de l'argent. Mais bon, il faut toujours qu'il y ait des pionniers. Je ne regrette rien, parce que j'aime trop ce sport.

Le premier sponsor que j'ai trouvé pour le club, c'était Mamie Nova. D'ailleurs, je ne sais pas si vous avez connu "Mamy Germond" mais tout le monde dans le club l'appelait "Mamie Nova". Cette dame a été extraordinaire... Je crois que jusqu'à sa mort, elle est venue au club. Elle était un des piliers du club...

Enfin, pour conclure, si c'était à refaire, je le referai. Peut-être pas tout à fait de la même façon... Bon après, c'est peut-être plus facile de monter un club de hockey aujourd'hui parce qu'on parle tout de même plus de hockey aujourd'hui qu'il y a 40 ans.

Propos recueillis par Yann Lecoq, 2009

 

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