Interview de Pat Cortina

 

Après avoir évincé du poste de sélectionneur de l'Italie parce que la fédération avait un nouveau projet en tête (camp d'entraînement au Canada avec des joueurs d'origine italienne, confié à Mickey Goulet), Pat Cortina est devenu entraîneur de l'équipe nationale de Hongrie en même temps que du club d'Alba Volán. Au championnat du monde de division I d'Amiens, elle a terminé en quatrième position du groupe.

- Ce championnat du monde a donné les résultats attendus pour la Hongrie... sauf ce dernier match contre le Japon.

Oui, c'est ça. Nous étions fatigués, et cela a compromis notre dernier résultat. Notre objectif ici était une médaille, et nous en sommes arrivés assez près.

Je crois cependant, comme l'a souligné le coach japonais, qu'il faut donner de l'importance au fait qu'on a joué la veille contre l'Allemagne et qu'on a essayé de gagner le match. Le fait même d'avoir été en lice pour l'or est un compliment à mes joueurs. Je suis déçu qu'ils repartent les mains vides.

Mais on a démontré qu'on était là. Les matches comme celui contre l'Allemagne sont importants pour la Hongrie. C'est un peuple très fier, et quand les équipes nationales ont du succès, cela aide beaucoup ce sport.

- Le report du match Hongrie-Israël a prêté à polémique dans la presse hongroise. Vous a-t-il réellement perturbés ?

Oui, nous sommes tout de même la seule équipe à avoir dû jouer quatre matches en cinq jours - avec Israël bien sûr. Même si ce match pouvait paraître plus facile, les suivants ne l'étaient pas du tout, et enchaîner avec la France, l'Allemagne et le Japon, ce n'était vraiment pas facile.

Le plus dur, c'était le fait de devoir changer. On se posait des questions : "pourquoi maintenant", "pourquoi seulement nous ?"... Il a fallu travailler pour essayer de ramener la concentration.

- La Hongrie pourra-t-elle bientôt viser l'accession en élite ?

Pour quelques années encore, notre objectif devra être de jouer cinq bons matches. Les cadres de notre équipe sont vieillissants. Au point de vue athlétique, nous ne sommes pas du même niveau que le Japon ou la France. C'est un problème de conditions de travail : les joueurs ne doivent pas être de bons athlètes pour avoir du succès, ils peuvent avoir de mauvaises habitudes et se reposer pendant tout l'été. Comme il n'y a pas beaucoup de compétition, les joueurs peuvent avoir une place dans l'équipe même avec une condition physique inacceptable.

- Ce message est-il écouté ?

Non. Les conditions autour de l'équipe ne forcent pas les joueurs à travailler. Certes je fais aussi passer ce message avec mon club Alba Volán, mais je n'ai pas vraiment pu changer les choses.

- Y a-t-il une relève en Hongrie ? La relégation des moins de 18 ans à domicile marque-t-elle un coup de frein ?

La situation des moins de dix-huit ans n'a malheureusement pas été très bien gérée, car ce n'était pas la priorité de la fédération. C'est sûr que ce n'est pas en division II qu'ils pourront se développer, mais leur place est en division I mondiale.

Il y a quelques jeunes, comme Hegyi, qui ont fait la préparation avec nous et qui seront intégrés l'année prochaine. Le problème est qu'ils n'ont pas été mis à l'épreuve, car les championnats juniors en Hongrie ne sont pas compétitifs. Dans le monde des hommes, on est testé tous les jours. Mais comme le championnat est trop facile, les joueurs développent de mauvaises habitudes et se complaisent dans des vieilles façons de faire.

L'an prochain, nous aurons également le renfort de trois naturalisés : Roger Holeczy, un Américano-Hongrois, Omar Henafati, un Canadien de père marocain et de mère hongroise, et Rastislav Ondrejcik, un Slovaque. C'est Alba Volán qui les avait recrutés, car ça intéresse les clubs d'avoir des jeunes aux racines hongroises.

Leur présence va nous permettre de gagner du temps. On pourra ainsi travailler avec des jeunes et quand même rester dans le groupe B.

- Vous aviez des lignes très hiérarchisées ici, c'est un principe ?

D'habitude, je disperse plutôt mes meilleurs joueurs sur différentes lignes. J'avais essayé de le faire avant, et il est apparu que ce n'était pas la meilleure chose pour notre équipe. C'était donc la façon la plus logique de faire pour affronter ce championnat du monde. Lorsque nous aurons un bon centre avec Holeczy, plus Janos Vas qui était retenu en AHL cette saison, nous aurons de quoi faire de meilleures lignes.

- Gabor Ocskay a été arrêté quelques mois pour des problèmes cardiaques la saison passée. Son retour a-t-il été important pour vous ?

Oui. Gabor, c'est un joueur complet, qui travaille fort et est un bon athlète. C'est un "bon mec", comme vous dites en France. Il est passé au travers de ses problèmes. Son cœur est très très grand du point de vue métaphorique aussi.

- Il y a des indices prometteurs pour le hockey hongrois. On parle beaucoup des Budapest Stars (club monté par des parents de joueurs qui s'est monté à partir des petites catégories).

Oui, toutes les initiatives sont positives. Depuis cinq ans et demi que je suis en Hongrie, cinq patinoires se sont ouvertes. Ça, c'est vraiment un pas très important.

- Qu'a amené l'entraîneur Árpád Kercsó aux Budapest Stars ? On annonce son remplacement par Robert Spisak pour la saison prochaine.

Ah ? Je ne savais pas. Kercsó, c'est un Suédo-Hongrois, qui vient du Djurgårdens IF où il a été à bonne école. Ses atouts sont dans l'organisation et le travail technique.

Ce qu'ont fait les Budapest Stars, c'est d'attacher plus d'importance au développement et moins aux résultats. Sinon, quand on fait jouer les meilleurs, ceux qui n'ont pas le niveau laissent tomber. Ils ne s'amusent pas, donc ils lâchent le hockey. Cela permettra peut-être d'avoir plus de joueurs dans le hockey hongrois.

- Les clubs seniors de Budapest (UTE et FTC) commencent-ils à devenir plus compétitifs ?

Un seul d'entre eux est compétitif, Újpest. Mais d'un autre côté, on risque de perdre Dunaújváros à cause de ses problèmes financiers. Avoir une équipe dans la capitale aide à la publicité, mais d'un point de vue technique, c'est pareil. Avoir Alba Volán plus un autre club, cela ne suffit pas, il en faut plus. Mais de toute façon, où iraient-ils chercher les joueurs ? Il faudra dix à quinze ans avant qu'il y en ait plus, avec le développement des nouvelles patinoires.

- Le club slovène de Jesenice a demandé à intégrer le championnat autrichien. Quelles seront les répercussions pour l'Interliga et donc pour la Hongrie ?

À mon avis, si Jesenice joue dans le championnat autrichien, il n'y a plus de Ligue Internationale. Il va falloir trouver des adversaires ailleurs, peut-être se tourner vers la Pologne. Rester juste avec le championnat hongrois, ce n'est pas possible, il n'y a pas de quoi.

- Quel a été l'apport des joueurs de NHL qui ont évolué en Hongrie la saison passée ?

Ça a amené un peu de publicité. Si on connaît un peu Budapest, on sait que ces joueurs ne sont pas venus pour jouer au hockey, mais pour s'amuser. Mais bon, c'était important pour les hockeyeurs hongrois de côtoyer ce genre de joueurs.

- Vous avez connu une fédération des sports de glace en Italie et une fédération de hockey en Hongrie. Qu'est ce qu'amène l'indépendance ?

C'est plus pratique pour décider, même si c'est peut-être moins fort, avec moins de poids. Le processus de décision est moins long. Si on a les moyens, en Hongrie, on fait ce qu'il y a à faire. En Italie, les moyens existent, mais avant de les mettre en œuvre, il fallait l'appui de la majorité des politiciens.

- Suivez-vous l'actualité du hockey italien ?

Non, pas beaucoup. Je vis encore en Italie, au Val di Fassa, mais à vrai dire, je suis surtout le football et le Milan...

- Il semble qu'Alvise di Canossa (président de Milan) et Nilo Riva (président d'Alleghe), autrefois symboles de pôles aux idées opposées, ont travaillé ensemble sur un projet de ligue. Y voyez-vous un signe positif ?

Si cela voit le jour, c'est très positif. Mais je suis en arrivé en 1988, et il y a une chose que je n'ai jamais vue, c'est tout le hockey italien qui travaille pour le bien du hockey italien. Cela fait vingt ans qu'il y a toujours les mêmes problèmes.

- Le club frioulan de Pontebba a gagné la série A2 et devrait monter en A. Intéressant pour développer le hockey italien ?

Ce serait bien pour le hockey italien de voir une nouvelle région représentée, mais il n'est pas sûr qu'ils puissent jouer en A. Pontebba avait déjà dû lutter pour que son équipe soit admise en deuxième division, parce que les autres clubs n'étaient pas intéressés pour aller jouer là-bas et faire le déplacement.

- L'Italie a des patinoires dont elle ne fait rien. Que fait la Hongrie comme effort de développement ?

La fédération est très active dans ce domaine, notamment le secrétaire général Zoltán Kovács, qui travaille très fort dans tous ces projets de nouvelles patinoires.

Il y a plein de choses qu'il est possible de faire et dont l'Italie pourrait s'inspirer. En Hongrie, on envoie l'équipe nationale patiner avec les jeunes, on aide à l'organisation et on s'implique dans le développement du hockey.

- Allez-vous continuer votre mission pour la Hongrie jusqu'à ce que ce développement porte ses fruits ?

J'ai passé deux ans et demi formidables en Hongrie, j'ai découvert un monde simple et pratique. Les gens donnent tout ce qu'ils ont, il est facile de travailler. Je continuerai à penser au hockey hongrois.

Mais il s'agit de mon gagne-pain. L'équipe nationale, ça représente trois à quatre semaines par an, et moi et ma petite fille n'allons pas vivre de ça.

- Alba Volá, c'est fini ?

Oui. J'ai travaillé fort tous les jours. On a gagné trois championnats, il n'y a pas de juniors dans l'équipe, on atteint la fin d'un cycle. Dans ces conditions, pour démarrer un nouveau cycle, il y a deux solutions : soit on change dix ou douze joueurs, soit on change d'entraîneur. Avec les moyens du club, la première hypothèse est exclue, car ce n'est pas chez ses concurrents qu'il pourra trouver des joueurs, il n'y en a pas autant. Donc, c'est la décision la plus sage qu'a prise l'organisation.

- Pour ce tournoi, vous avez renforcé votre staff avec Diego Scandella, entraîneur des juniors de Lugano.

Oui, c'est un collègue et un copain. Ce n'est pas parce qu'on cherche à amener ses amis dans l'entourage, mais on essaie de trouver quelqu'un qui soit quasi-bénévole. Car un des problèmes en Hongrie, c'est qu'on n'a pas d'entraîneurs qualifiés.

- Que manquent-ils aux entraîneurs qui y ont travaillé jusqu'ici ?

Techniquement, les Tchèques et Slovaques ont fait du bon boulot. Par contre, tactiquement, dans le jeu d'équipe et dans la condition physique, il y a des lacunes.

- Vers quelles nationalités faudrait-il se tourner à votre avis ?

Je suis assez amateur des nations nordiques. Je pense qu'il faut regarder vers les Finlandais. Il suffit de prendre comme exemple ce qu'a fait la Slovénie [NDLR : qui avait un entraîneur finlandais ces deux dernières années], ce qui paraît un objectif réaliste pour la Hongrie. Dans les moyens et le niveau, c'est comparable, on en est là, et ils font du bon boulot.

- Puisque vous êtes à la recherche d'un club, pourriez-vous rentrer en Italie ?

J'ai travaillé en Italie et j'aurais pu y rester, après tout ma famille est là et ma petite fille me manque. Mais il faut essayer de trouver un club compétitif, qui joue le titre, car il y en a trop en Italie qui se satisfont d'une cinquième ou d'une sixième place. J'ai 42 ans, j'ai encore trop de feu en moi, je ne peux pas me contenter d'un mi-classement, sauf s'il y a un projet à moyen terme pour devenir compétitif à quatre ou cinq ans.

- Et quelle est votre opinion sur le hockey français ?

Il y a de bons joueurs, une bonne technique. C'est un jeu assez excitant. On verra ce soir si c'est également efficace [interview réalisée avant France - Allemagne]

Propos recueillis le 30 avril 2006 par Marc Branchu

 

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