Canada - URSS (17 septembre 1974)

 

Premier match de la série du siècle 1974.

La WHA a attaqué depuis trois ans la position monopolistique de la NHL. Pour pouvoir constituer une base solide de joueurs talentueux, elle ne lésine pas sur l’augmentation importante des rémunérations et ainsi libère ce marché du travail. Ce défi de la WHA modifie, au moins temporairement, le vassalisme structurel restrictif du hockey professionnel nord-américain. La signature de Bobby Hull a créé un précédent et a encouragé Gordie Howe, Frank Mahovlich et Gerry Cheevers, entre autres, qui n’ont pas hésité à franchir le pas pour basculer, eux aussi, dans cette nouvelle ligue.

Mais trois saisons plus tard, alors que les factures montaient, la WHA a du mal à convaincre les fans, les chaînes de télévision et les commanditaires que sa marque de hockey est à égalité avec la NHL. Les officiels de la Ligue ont rapidement accepté un plan conçu par l'Association canadienne de hockey amateur au printemps pour une revanche de haut niveau - une deuxième série de huit matchs de stars canadiennes contre les meilleurs Soviétiques.

Le comportement affiché par les joueurs et dirigeants canadiens à Moscou en 1972 a d'abord eu un impact négatif lors des négociations pour la deuxième série de 1974. La mise en place d’un nouveau duel contre l’URSS comporte de multiples objectifs à peine voilés, Tout d’abord, il représente une autre tentative de « diplomatie du hockey » visant à favoriser l'amélioration des relations entre le Canada et l'URSS.

Pour les propriétaires de la WHA, il devient judicieux de placer ses franchises au niveau de la NHL, solidement positionnée. Dans le même temps, le gouvernement canadien, avec la création de Hockey Canada, a le mandat d’organiser des équipes nationales pour les compétitions internationales et est donc motivé pour organiser une nouvelle série. Mais Hockey Canada, qui est une association indépendante des ligues professionnelles, ne peut qu’être spectatrice dans la querelle de ces deux ligues. La NHL refuse catégoriquement de libérer ses joueurs pour une nouvelle série car ce serait, de fait, reconnaître la légitimité de la WHA.

Comme le titre le Globe and Mail, « Le succès contre les Russes prouverait la parité avec la NHL ». Pour les joueurs canadiens vieillissants de la WHA, il s’agit d’une occasion, unique, d’affronter les meilleurs joueurs du hockey soviétique. Gordie Howe a 46 ans lorsqu'il a cette première occasion de se produire à Moscou. Bobby Hull, exclu de la série de 1972 puisqu'il avait rejoint la WHA, a 35 ans. Ralph Backstrom a 37 ans, Frank Mahovlich (déjà présent en 1972) 36 ans, Pat Stapleton 34 ans et Jean-Claude Tremblay 35 ans.

Comment appréhender le résultat final ? Cette question, Hockey Canada se l’est posée. Si nous perdons… eh bien, nous ne pouvons que trouver logique que la NHL soit le niveau supérieur du hockey nord-américain et soit donc indispensable dans la sélection. Si nous gagnons… nous sommes toujours les champions et la meilleure nation du monde. La population se sentira toujours protégée comme Hockey Night in Canada (sur la chaîne canadienne CBC) l’a exprimé. Car les médias sportifs canadiens n’ont jamais vraiment cru que la WHA était l'égale de la NHL.

L'importance de la série pour la légitimité de la ligue a un effet d'entraînement sur d'autres problèmes concernant la WHA. Parmi les plus controversés, le manque de compensation financière pour les joueurs européens signés par les équipes de la WHA. En conséquence, en août 1974, quelques semaines à peine avant le début du sommet, un accord a été conclu entre la WHA et les organisations européennes de hockey. Plus précisément, la WHA, en collaboration avec la CAHA, a accepté de payer 20 000 $ à une fédération européenne lorsqu'un de ses joueurs signait avec un club de la WHA. Elle a également accepté de payer 10 000 $ supplémentaires quand un joueur boucle une saison de championnat, et 10 000 $ supplémentaires après une deuxième année. Gordon Juckes, directeur général de la CAHA, a souligné son importance. « L’approbation de la série était basée sur un tel accord avec les fédérations européennes. Les Finlandais ont d'abord accepté l'accord et les Suédois ont emboîté le pas. Les Russes étaient heureux tant que les deux autres l'étaient ».

Sur la glace, c’est Billy Harris qui est chargé de confectionner et diriger une nouvelle équipe sur la base des effectifs de la WHA. Harris est un ancien triple vainqueur de la coupe Stanley avec les Toronto Maple leafs lors du triplé de 1961, 1962, 1963. Il y a passé dix saisons et est revenu dans cette ville en 1973 pour coacher la franchise WHA des Toronto Toros. Le choix de Billy Harris comme entraîneur a été salué, en partie en raison de son expérience internationale (il a entraîné l'équipe nationale suédoise, qui, pendant son mandat, a connu deux matchs nuls et une défaite en trois matchs contre l'Union soviétique). Lars-Erik Sjöberg, un joueur suédois des Winnipeg jets, a aussi été embauché pour patiner avec les Canadiens et proposer quelques conseils sur les tendances de l'équipe russe.

Billy Harris revient sur le passé de 1972 : « Les perspectives doivent être différentes cette fois. Il y a deux ans, le Canada voulait, non seulement, gagner par huit victoires consécutives, mais aussi balayer les Russes. Nous avions une très bonne équipe de hockey pour cela, mais quand même ... ce ne sont que des hommes. Pourquoi cette mystique ? Nous avons perdu notre temps à haïr le système communiste. En 1972, les joueurs se plaignaient largement du manque de confort et ainsi de suite en Russie. J’y étais en tant que joueur en 1969, je le sais. Mais ce n'était pas une raison pour oublier notre objectif en route. » Ce que Harris souhaite lorsqu'il réunit l’équipe Canada 74 à sa base d'entraînement d'Edmonton le 1er septembre, c'est que lui et ses adjoints entraîneurs-joueurs Bobby Hull et Pat Stapleton établissent une nouvelle image pour les équipes de hockey canadiennes à l'étranger... Avant le premier match à Québec, le ministre fédéral de la Santé et du Bien-être social, Marc Lalonde, a loué : « Nous sommes derrière les deux équipes. Nous sommes pour la paix et l’amitié ». Avant ce premier match à Québec, Billy Harris, qui veut désespérément que les matchs se déroulent avec l'esprit sportif, a commenté : « La seule façon saine de voir la série est qu'elle est censée représenter huit rencontres amicales. Nous allons essayer de gagner les huit matchs contre les Russes. Mais si nous perdons, ce ne sera pas la fin du monde. Ma femme et mes enfants ne me quitteront pas simplement parce que nous perdons. Il y a des choses plus importantes dans le monde que les matchs de hockey. »

Du côté soviétique, le sport est devenu depuis le début un vecteur pour s’imposer dans des relations internationales compliquées avec la période de guerre froide. Même avec le transfert de la présidence du CIO de Brundage à Killanin et une ouverture à un statut d'amateur plus libéral, l'URSS était préoccupée par la réaction du CIO face à son équipe nationale jouant régulièrement des adversaires professionnels. Des négociations pour des matchs entre des équipes de clubs soviétiques et des équipes professionnelles canadiennes sont en cours et ont la faveur de nombreux Canadiens. Cependant, la principale question est de savoir si les professionnels canadiens peuvent participer aux championnats du monde. De plus, les joueurs amateurs conservent-ils le droit de participer aux Jeux Olympiques après avoir joué contre des professionnels canadiens ? Ces questions traversent les plus hautes instances mondiales du hockey.

Politiquement, le groupe sportif est entouré et contrôlé par le Parti Communiste d’URSS (PCUS). La déclaration du PCUS sur la supériorité du sport soviétique doit être constamment démontrée. L'importance d'utiliser la représentation des athlètes pour favoriser la détente internationale est implicite dans les articles de Futbol / Khokkei publiés au cours de la série. Dans le reportage sur ce premier match de Québec, le journaliste anonyme note que le fan de hockey canadien a une excellente mémoire collective, puisque les joueurs de 1972 ont été reconnus immédiatement : « Chacun à leur tour ils ont été accueillis par de généreux applaudissements ; et lorsque les noms de Vladimir Tretiak, Aleksandr Yakushev et Valeri Kharlamov ont été annoncés, c’est une énorme ovation qui a retenti dans la patinoire. »

Boris Kulagin, adjoint lors de la série de 1972, a été nommé pour diriger l’équipe soviétique. L’ex-entraîneur en chef Vsevolod Bobrov a été congédié par le pouvoir politique qui n’a pas apprécié l’exclusion du vestiaire de son commissaire lors des championnats du monde de 1974.

La série débute par quatre rencontres au Canada et c’est à Québec, sur la glace des Nordiques, que le défi est lancé. Les deux équipes sont dans un rythme rapide et Johnny McKenzie ouvre la marque en récupérant un palet à côté du poteau.

En deuxième période, Vladimir Lutchenko égalise d’un puissant lancer à la bleue sur une belle passe de Kapustin. Le Canada reprend l’avantage alors que Vassiliev est en prison pour faire trébucher. Bobby Hull reprend dans le cercle gauche un palet gagné dans un combat à la bande par Howe et Walton. Mais, quand Selwood prend une pénalité similaire Valeri Kharlamov impressionne avec un coast to coast en échappant aux deux attaquants puis en éliminant les deux défenseurs avant de battre Cheevers (2-2). Le rude défenseur Paul Shmyr pénalise son équipe en partant deux fois sur le banc des prisons. Après un bon jeu de puissance agrémenté de multiples passes, il se crée un espace vide dont Petrov profite et fait basculer le score pour les rouges (2-3).

Dans la troisième période, l’URSS exerce une énorme pression sur les cages canadiennes. Le patinage très rapide des soviétiques annihile les rushs des Canadiens lorsqu’ils tentent des contre-attaques. Serge Bernier surnage pendant ce tiers et sonne la charge. Le Canada revient fort avec plusieurs actions dangereuses mais Tretiak reste un dernier rempart infranchissable. Le portier maintient l’avantage de son équipe. Dans la seconde partie du tiers, l’URSS subit et éprouve des difficultés pour sortir de sa zone, mais Tretiak écœure les Canadiens. Leur précipitation annule les actions par une succession de hors-jeu, mais Bobby Hull parvient tout de même à marquer en one timer après une belle conquête de la rondelle (3-3).

Le Canada termine fort et Howe a même une cage ouverte qui est vendangée ce qui scelle le score du match. Le Toronto Star précise avec son journaliste Jim Kernaghan : « L'équipe soviétique a été sous pression du Team Canada à un moment où les jambes vieillissantes des Canadiens étaient censées ne plus réagir ». Jean-Claude Tremblay, Pat Stapleton et Paul Shmyr ont mérité des distinctions pour leur travail de défenseurs, et Gerry Cheevers a été très solide.

Élus meilleurs joueurs du match : Bobby Hull pour le Canada et Valeri Kharlamov pour l'URSS.

Damien Kuster

Commentaires d'après-match

Boris Kulagin (entraîneur de l'URSS) : « C’était un match intéressant. Nous aussi, nous sommes satisfaits du résultat de ce soir. Yakushev n'a pas joué les deux dernières périodes parce qu’il a un problème de hanche. Nous ne savons pas encore si c’est grave. »

Paul Henderson (attaquant du Canada) : « Non, ils n’ont pas vraiment changé de style de jeu depuis 1972. Nous avons juste eu un peu de mal à organiser notre hockey. Ils sont fondamentalement la même équipe de hockey avec le même jeu. »

Bobby Hull (attaquant du Canada) : « Je n’ai jamais été aussi tendu avant un match, même avant un match 7 de Coupe Stanley. Je suis ravi d’être là et j’ai un profond respect pour les joueurs soviétiques. Ils sont exceptionnels et très durs à jouer, même si vous connaissez leur jeu. Notre équipe a bien joué ce soir, mais nous avons subi une baisse à cause de nos pénalités. Les Soviétiques ont un très bon patinage et ce sont de vrais athlètes. Leur gardien est très fort et se déplace rapidement, de quelque endroit que l’on tire. On les avait visionnés en vidéo mais ils ont appliqué un très bon système en infériorité numérique. À l’avenir nous devons donner moins de pénalités. C’est cela, la réponse. On a été tendu pendant deux tiers mais je suis certain que nous pouvons jouer beaucoup mieux. »

Canada - URSS 3-3 (1-0, 1-3, 1-0)
Mardi 17 septembre 1974 au Colisée de Québec. 10 958 spectateurs.
Arbitrage de Josef Kompalla (RFA).
Pénalités : Canada 10' (0', 10', 0'), URSS 8' (0', 4', 4').
Tirs cadrés : Canada 37 (10, 11, 16), URSS 31 (8, 14, 9).

Évolution du score :
1-0 à 12'30" : McKenzie assisté de Lacroix et Hull
1-1 à 27'46" : Lutchenko assisté de Tsygankov et Kapustin
2-1 à 32'07" : Hull assisté de G. Howe et Walton (sup. num.)
2-2 à 34'04" : Kharlamov assisté de Vasiliev (sup. num.)
2-3 à 37'10" : Petrov assisté de Gusev et Kharlamov (sup. num.)
3-3 à 54'18" : Hull assisté de Lacroix et McKenzie
 

Canada

Attaquants :
Frank Mahovlich - Ralph Backstrom - Gordie Howe
Bobby Hull - André Lacroix - John McKenzie (2')
Paul Henderson - Mike Walton - Bruce MacGregor
Marc Tardif - Serge Bernier - Réjean Houle (2')

Défenseurs :
Pat Stapleton - Jean-Claude Tremblay
Paul Shmyr (4') - Rick Smith
Rick Ley - Brad Selwood (2')

Gardien :
Gerry Cheevers

Remplaçant : Don McLeod (G). En réserve : Gilles Gratton (G), Marty Howe, Al Hamilton, Barry Long, Pat Price (D), Mark Howe, Jim Harrison, Tom Webster, Wayne Dillon, Ron Chipperfield, Dennis Sobchuk (A).

URSS

Attaquants :
Valeri Kharlamov - Vladimir Petrov - Boris Mikhaïlov
Aleksandr Yakushev - Vladimir Shadrin - Aleksandr Maltsev
Aleksandr Bodunov (2') - Vyacheslav Anisin - Yuri Lebedev
Sergei Kapustin (2')

Défenseurs :
Aleksandr Gusev - Valeri Vassiliev (2')
Yuri Liapkin (2') - Guennadi Tsygankov
Vladimir Lutchenko - Viktor Kuznetsov

Gardien :
Vladislav Tretiak

Remplaçants : Aleksandr Sidelnikov (G), Viktor Shalimov, Sergei Kotov (A). En réserve : Vladimir Polupanov (G), Yuri Tyurin, Yuri Shatalov, Aleksandr Filippov, Yuri Fyodorov, Aleksandr Sapyolkin (D), Vladimir Repnev, Vladimir Vikulov, Vladimir Popov, Aleksandr Volchkov, Konstantin Klimov, Sergei Korotkov (A).

 

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