Mémoires de Jean Tarenberque

 

Les débuts

J'ai pris ma première licence fin 1952 au sein de l'ACBB. Ce club fondé en 1943 avait formé une section sports de glace et de neige en 1952. Elle négociait des billets à la patinoire de Molitor et les revendait à ses membres qui bénéficiaient de prix inférieurs. L'un d'entre eux, Serge Boissonnet, a eu l'idée de monter une équipe de hockey, et il repérait les bons patineurs sur la glace. J'étais dans le lot. Paul Coste, professeur au lycée américain et golfeur émérite, fut notre premier entraîneur. D'origine basque, il avait appris le hockey aux États-Unis.

Deux cages avaient été fabriquées par un atelier de la mairie. On s'entraînait dans le grand hall au sommet de l'Hôtel de Ville de Boulogne-Billancourt, un couloir de cinq-six mètres de large recouvert de parquet. Il existe encore, on y trouve des sculptures... On essayait de mettre des buts, et je dois avouer que quelques lampes sont passées de vie à trépas.

Les hivers des années cinquante

Notre premier succès, c'est la qualification pour les finales de deuxième série à Gap en 1955/56. Il faisait -17°C, le Rhône était gelé ! Ce n'était pas l'hiver 1954, celui de l'Abbé Pierre, mais il y a eu plusieurs hivers froids dans les années cinquante. Cette année-là, il y avait 17 centimètres d'épaisseur de glace sur les lacs du bois de Boulogne. On devait y faire une exhibition, mais puisque nous sommes partis à Gap, ce sont l'ASPP et le CSGP qui nous ont remplacés. Il y avait cinquante mille spectateurs dans les bois.

Le Vel' d'Hiv'

Il se trouve que mon oncle était un fervent du Vel d'Hiv dans les années trente. Il y allait souvent voir les fameux joueurs canadiens, les Cadorette et Moussette. Il m'y avait emmené quelquefois après la guerre. À l'époque, il n'y avait pas de surfaceuse, c'était des gars avec une pub dans le dos (Cognac Camus, je m'en souviens encore) qui raclaient à la main.

Au Vel d'Hiv, on trouvait beaucoup de sports, même le "roller-catch" : sur un anneau de vitesse comme celui utilisé pour le cyclisme, des patineurs à roulettes disputaient une course dans laquelle tous les coups étaient permis. Je ne vous dis pas le cirque...

J'ai eu la chance à mon tour de jouer au Vel d'Hiv, et même d'y faire le dernier match de hockey qui y a eu lieu, en 1959 contre les Hongrois du Meteor Sport-Club. La dalle était à moitié pétée, ça fuyait de partout, c'était la fin.

De toute façon, la popularité du Vel d'Hiv avait disparu avec l'avènement de l'automobile. Quand ils ont eu leur voiture, les Parisiens s'en allaient à la campagne.

Les heures de gloire

La section cyclisme de l'ACBB comprenait tous les champions de l'époque, les Stablinski, Anquetil et Darrigade, et c'est Philippe Potin qui la finançait. C'est quand il s'est mis au hockey sur glace qu'il a recruté les renforts canadiens. Pour les grands matches à Boulogne-Billancourt, il y avait 2400 personnes, c'était plein à craquer et on refusait du monde.

Les premiers Canadiens étaient Gélinas et Labrosse, qu'a remplacé ensuite Gaston Pelletier, un patineur fantastique, qui est devenu comme moi directeur de patinoire, à Fribourg. Puis est venu Pete Laliberté, et c'est effectivement lui qui nous a appris le slap. Nous ne faisions que des lancers balayés avant qu'il ne nous le montre. L'autre Canadien était Stu Cruikshank, défenseur dur à passer. Gélinas aussi a joué à l'arrière, mais plus rarement.

Ces quatre Canadiens faisaient les rencontres internationales, mais il n'y en avait que deux autorisés en championnat. Pareil avec le gardien suisse Jean Ayer. En championnat, c'est Edmond Cochet qui était dans les cages. Il jouait avec son gros pull-over avec des laines de toutes les couleurs, je ne sais pas qui le lui avait fait. Il est devenu ensuite tenancier d'un café à Tonnerre dans l'Yonne. Le deuxième gardien, après Dupé et avant Sozzi, c'était Patrick Lemaître, le fils d'Eddy Marnay [NDLR : parolier des Amants de Paris, de La ballade irlandaise ou encore de Cette année-là]. Il y avait aussi Éric Jouvet, le petit-fils de l'acteur Louis Jouvet, à l'ACBB. Et puis il y avait Frank Alamo qui jouait au Racing. C'était le fils des téléviseurs Grandin. Son père est disparu en mer, sur un voilier, on ne l'a jamais retrouvé. Mais il a arrêté le hockey quand il a eu du succès comme chanteur [NDLR : Biche oh ma biche].

La maison Potin

La maison Félix Potin avait son siège social rue de l'Ourcq. J'étais allé dans le bureau du père, Jean Potin. La pièce était impressionnante, de la taille de l'ensemble de mon pavillon actuel. Il y avait aux murs une galerie de tableaux de chevaux de course.

J'étais le trésorier de la section sports de glace de l'ACBB quand Philippe Potin en était le président. C'est moi qui avais par exemple dû régler la note lors d'une tournée suisse où les joueurs avaient fait du dégât par une bataille de polochons. Quand Philippe Potin est devenu président de la fédération en 1967, il lui avait fallu abandonner son poste en club. Je me suis donc retrouvé président de la section, qui comprenait les meilleurs patineurs de l'époque, Calmat, Gilletti. Je suis resté en fonction de 1967 à 1992, et j'y suis brièvement revenu de 1996 à 1997.

Malheureusement, Madame Jean Potin, que tout le monde appelait ainsi et dont j'ai oublié le prénom, n'a pas voulu se mettre au goût du jour lorsque les supermarchés sont arrivés. Restée dans l'idée de l'épicerie de quartier, la maison Potin a décliné. La famille n'a pas fini à la rue, mais presque.

La tournée tchèque de l'ACBB

Après la troisième Coupe Spengler remportée, on a fait une tournée en Tchécoslovaquie qui reste un souvenir mémorable. On a joué trois fois, aux usines Škoda de Mlada Boleslav, à Prague puis à Kladno. Le premier match, on est passé près du match nul, on a perdu 6-5, mais dans les deux suivants, on s'est pris des secouées (8-1 et 11-2). Le dernier match, nous avions été confrontés à l'équipe nationale B de Tchécoslovaquie, c'était un autre monde.

Traverser le rideau de fer était une aventure à l'époque. On était parti avec des petits paquets de bas en soie achetés au Prisunic. On nous les arrachait. L'arrière Georges Baudin travaillait dans une entreprise qui emballait des caramels et des petites capsules d'eau de Cologne. Il en avait emmené une ribambelle. Lors du match de Prague, j'étais entré dans la patinoire avec des après-ski en peau de phoque. C'est tout juste si je ne suis pas ressorti pieds nus...

On logeait dans un hôtel à sept kilomètres du centre de Prague. Avec Jean Marchandise, on avait pris un taxi pour rentrer. La course coûtait environ quinze francs de l'époque, mais le gars avait préféré être payé avec un stylo bille qui devait valoir dans les cinquante centimes.

Les Lions de Paris

Après l'ACBB, j'ai joué aux Lions de Paris, un club créé par Marcel Bonnet. C'était en fait une sorte de deuxième équipe de l'ACBB puisque tous les joueurs en venaient, donc quand on jouait contre eux, c'était spécial. C'est ainsi qu'au moment de shooter, Christian Rayon, sans le faire exprès, m'a levé la crosse et a ouvert ma lèvre. On m'a emmené à l'hôpital Corentin-Celton me faire recoudre. On jouait encore sans casque à l'époque, les joueurs de maintenant sont bien plus protégés.

J'étais ailier droit de la première ligne des Lions, avec Burt Vuillermet au centre et Thierry Lacarrière à l'aile gauche. Je fais 1m83, Thierry Lacarrière fait 1m87 et son successeur Jean-Pierre Henet était très grand lui aussi. Le profil de la ligne était particulier car Burt, par contre, fait moins de 1m75. Il était petit, mais il nous mettait des buts...

Souvenirs olympiques

J'étais représentant de commerce chez Dubonnet, et lors des tournées de l'ACBB, je partais sur mes congés. Jean Ferrand était dans la même situation que moi, il était lui aussi agent commercial dans les vins et spiritueux. Je devais initialement partir aux Jeux Olympiques de Grenoble en tant qu'arbitre, mais il m'a demandé de venir à sa place au secrétariat des matches au Stade de Glace. C'est là que jouaient toutes les meilleures équipes, alors que celles du groupe B étaient au Parc Mistral.

Je me souviens bien sûr de l'équipe d'URSS, avec Ragulin et compagnie. Devant les vestiaires russes, il y avait des cerbères du KGB en costumes de cuir, c'est tout juste s'ils vous laissaient rentrer. Je devais pourtant y aller pour faire signer les feuilles de match.

Le grand moment des JO a été la victoire de la Tchécoslovaquie sur l'URSS. L'arbitre était le Finlandais Sillankorva, qui faisait 1,90 m. Une image me reste : quand Nedomansky a mis le but de la victoire, il s'est prosterné et a embrassé la glace.

La remise des médailles de ski alpin devait se faire justement pendant le match Tchécoslovaquie-URSS. Il y avait Jean-Claude Killy bien sûr, mais aussi Isabelle Mir, l'Autrichienne Olga Pall... Il y avait sept ou huit skieurs à caser, et j'ai dû sillonner les gradins pour leur trouver de la place, car c'était noir de monde. Killy, je peux vous dire qu'il était cuit : cigares et cognac...

J'aurais pu le croiser à nouveau en 1992 lors des Jeux Olympiques d'Albertville, où il était le coprésident du comité d'organisation avec Michel Barnier. Entre-temps, j'étais devenu directeur de patinoire, juste après les JO de Grenoble. J'ai été le dernier directeur de la patinoire du Rond-Point des Champs-Élysées, jusqu'en novembre 1978, à une époque où elle n'abritait plus de hockey depuis bien longtemps. Puis je me suis occupé pendant onze ans de celle de Boulogne-Billancourt, jusqu'à ma retraite.

On a donc fait appel à moi pour la patinoire de Méribel qui accueillait la compétition de hockey. Il y avait déjà un directeur qui s'occupait des compresseurs, etc, et j'étais quant à moi responsable de la surface de la glace, en compagnie d'un Suisse, Zimmermann. La journée commençait à six heures et se terminait à une heure du matin, c'est pourquoi nous nous partagions la tâche à deux entre le matin et l'après-midi. Quand Killy est venu visiter les installations, ce n'est pas moi qui étais présent. Dommage, j'aurais bien aimé lui glisser ce petit souvenir...

La Coupe de France 1973 à Châlons

La finale de la Coupe de France 1973 a été organisé à ce qui s'appelait alors Châlons-sur-Marne [NDLR : aujourd'hui Châlons-en-Champagne]. La patinoire, située dans un hall de foire, était entretenue de bric et de broc. Il n'y avait pas d'épaisseur de glace sur les bordures. On voyait le béton et on a dû prendre une pelle pour ramasser et tasser la neige afin de boucher les trous. Comme j'étais dans le métier, j'avais plus vite fait de le faire moi-même...

Les championnats du monde juniors 1981 à Strasbourg

Aux Mondiaux juniors 1981 à Strasbourg, il y avait 14 centimètres de glace. On ne voyait pas les lignes ! La veille du début de la compétition, le délégué IIHF nous déclare que, si tout n'est pas correct le lendemain, il annule les championnats du monde ! À la ville, c'était le branle-bas de combat. Le responsable de la surfaceuse était un Allemand, un ancien sous-marinier paraît-il, qui était souvent complètement cuit. Il y avait aussi une femme, mais c'était lui qui commandait.

C'est moi qui ai dû m'occuper de refaire la glace pendant la nuit, avec mes collègues arbitres. Heureusement, l'un d'entre nous, Christian Doucin, avait deux combinaisons de mécanicien dans sa voiture. En plus de l'épaisseur, la glace n'était pas plate : elle remontait aux angles. J'ai été obligé de me taper les bordures au rabot. Les gars du club de Strasbourg ont ensuite tracé les lignes, puis on a refait la glace par-dessus la peinture pour que ça tienne.

À la fin du tournoi, le Député-Maire [Pierre Pfimlin] nous a invités dans un bon restaurant et nous a offert des bouteilles d'eau-de-vie de poire et de framboise en remerciement.

L'arbitrage

Au début, l'arbitrage, c'était la grande nage. On prenait les joueurs. Pic et pic et coligram, c'est toi qui sera l'arbitre. Je ne m'en sortais pas trop mal, donc les autres clubs me téléphonaient pour que je vienne les arbitrer. Cela a commencé à s'organiser avec la création de la commission des arbitres. Des fois, il y avait des problèmes quand j'arbitrais l'ACBB. J'essayais d'être plus dur pour ne pas être taxé de favoritisme, mais cela ne passait pas toujours bien.

Puis un joueur de l'US Métro a frappé un arbitre, et à cause de Claude Pourtanel, qui aimait bien un peu magouiller, le président de la commission des arbitres a démissionné. Cela s'est poursuivi par une grève des arbitres et s'est terminé par la dissolution du Comité de Hockey tout entier. C'est alors que la LNAF (Ligue Nationale des Arbitres Français) a été créée. Elle a fait son śuvre pendant plus de trente ans, jusqu'en 2000 où la fédération alors contrôlée par Gailhaguet et Goy s'en est mêlée. Je n'appréciais guère Goy [NDLR : qui n'était plus censé avoir de fonctions officielles] mais j'étais bien obligé de le voir souvent puisque j'étais trois fois par semaine au siège de la fédération... J'étais secrétaire administratif de la fédération et je m'occupais de l'envoi des convocations, qui se faisaient alors par courrier. C'est pendant cette crise que 140 arbitres ont été affiliés de force au Club France. Une nouvelle structure a pris la place de la LNAF, la CFA.

Souvenirs d'arbitre

Le match le plus tragique que j'ai arbitré, c'était un Français Volants - ACBB à Charenton, durant lequel mon collègue est décédé. "Un arbitre meurt pendant un match", tel était le titre de l'article de journal. Il est vrai que ce genre d'accident est très rare. C'était un homme de quarante ans, qui avait arrêté l'arbitrage un moment, et qui reprenait bien. Nous étions chacun de notre côté de la glace. Je le vois se pendre le long de la glace, puis dégringoler. Je me dis "mince, il n'y a pourtant pas de joueur à proximité", et j'ai sifflé pour arrêter le jeu. L'infirmière qui était présente a vu que c'était grave, elle lui a fait une piqûre. Un joueur de l'ACBB, que l'on surnommait Zazou et qui est chirurgien-dentiste, installé depuis à Berne, lui a fait du bouche-à-bouche, mais on n'a pas pu le récupérer.

Un autre incident qui m'a frappé s'est produit lors d'un Tours-Chamonix, à l'époque où Tours jouait le titre, devant pas loin de quatre mille personnes. Il y en avait partout, si la police était venue... Les escaliers étaient noirs de monde. J'étais arbitre avec Jean-Louis Millon et Alain Vignais. Un palet dévié est parti dans le public et a heurté un vieux monsieur entre les deux yeux. J'ai entendu le bruit du palet sur le crâne et j'ai vu le flot du sang. Les pompiers l'ont embarqué. En fait, c'était quelqu'un qui venait à tous les matches et s'asseyait toujours à la même place. Ce soir-là, j'avais emmené ma femme et mon fils, et le président de Tours leur avait trouvé une place. Mais c'était la sienne. Le vieil homme en question avait gueulé et obtenu de récupérer sa place... et c'est donc lui qui a pris le palet. Je m'étais dit qu'on ne le reverrait plus. Un mois après, il paraît qu'il revenait.

Un match marquant que j'ai vécu, c'est ce Rouen-Amiens en play-offs où j'arbitrais avec Benoist, et je ne sais plus si c'était De Tao ou Malletroit. C'était sur la patinoire de Rouen, qui avait gagné grâce à ce but au milieu du brouillard qui avait surpris Mindjimba. Heureusement que j'étais près, sinon je n'aurais pas été sûr de savoir si le but rentrait ou pas. Le brouillard était tel...

Propos recueillis par Marc Branchu, 2006 et 2007

 

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