Otto Schneitberger

 

Né le 29 septembre 1939 d'un père moniteur de ski, Otto Schneitberger aurait naturellement pu passer sa vie sur des spatules. Il avait même été présélectionné dans l'équipe nationale de ski de fond. Au royaume des sports d'hiver qu'est sa Haute-Bavière natale, il a pourtant choisi la seconde possibilité. Sa première inscription au hockey sur glace, à 10 ans, avait pourtant failli le dégoûter : il avait commencé comme gardien, un poste extrêmement exposé, sans protection particulière pour le haut du corps. Réservé aux kamikazes. Mieux vaut encore dévaler tout schuss une pente verglacée...

Si le jeune sportif a persévéré dans ce sport malgré cette mauvaise première impression, c'est parce que le hockey représente en ce temps-là la passion du village de Bad Tölz. Les rencontres de l'équipe première le samedi attirent toute la population alentour. Et même le lendemain, les spectateurs peuvent être encore plus de 2000 pour voir jouer les juniors ou la réserve. Les joueurs se nourrissent de ce soutien populaire... et aussi des saucisses offertes par la boucherie Zach, cadeaux laissés dans les vestiaires pour la fin du match. Nul n'imagine que le fils de ce "sponsor en nature", Hans Zach, deviendra un des entraîneurs les plus célèbres du hockey allemand après avoir été apprenti boucher...

Une passion aveuglante

Schneitberger, de dix ans plus âgé que le fils Zach, effectue pour sa part son apprentissage comme maçon. Un métier qui a la particularité d'être impraticable l'hiver, sous la neige qui recouvre les rives de l'Isar. Au chômage technique, le jeune Otto a beaucoup de temps libre, qu'il passe à la patinoire. En plus des entraînements avec ses camarades, il devient alors le camarade de jeu des plus jeunes. Il s'évertue à protéger son palet pendant qu'ils se mettent à plusieurs pour essayer de l'en déposséder. C'est lors de ces jeux innocents qu'il perfectionne sa technique. Schneitberger évolue comme ailier dans les petites catégories, mais c'est en défense qu'il trouvera sa vocation finale, malgré son gabarit modeste (1,71 m) pour un arrière. L'entraîneur canadien Mike Daski, qui le fait débuter en équipe première à 16 ans, lui inculque le goût du hockey physique, ainsi que l'art du slapshot qui sera une corde importante à l'arc de Schneitberger.

Les mises en échec ne sont cependant pas appréciées par tout le monde, et surtout pas par les adversaires. En 1961, lors d'un derby à Garmisch-Partenkirchen, un joueur du SC Riessersee, que Schneitberger a chargé contre la bande, lui donne en représailles un coup de crosse à hauteur des yeux. Otto passe cinq jours le visage recouvert d'un bandeau. Aveugle sur son lit d'hôpital, il se promet de ne plus jamais rejouer au hockey. Mais quand les médecins le libèrent de son carcan et révèlent que sa vision est intacte, il oublie cette résolution. Schneitberger se décrit lui-même comme "possédé" par le hockey sur glace.

Possédé, certes, mais pas au point d'en oublier ses ambitions professionnelles. Le hockey n'est pas un métier en Allemagne, et Schneitberger travaille dans un cabinet d'architecte quand il est contacté par un entrepreneur de Kaufbeuren. Une offre d'emploi qui implique nécessairement d'aller jouer dans ce club bavarois rival. Il ira plus loin encore... Au printemps 1964, le président de la Düsseldorfer EG, Hans Ramroth, se présente à Sepp Reif et Otto Schneitberger alors qu'ils jouent au tennis sur un court de Bad Tölz : il les invite tous deux à Düsseldorf pour qu'ils constatent que cette grande ville du Rhin leur donnera toutes les possibilités d'épanouissement sportif et professionnel. Reif, qui s'inscrit dans une école de génie climatique à Mannheim, entraîne Schneitberger dans son sillage.

De retour chez eux, les deux joueurs vont s'en expliquer à Jakob Heidel. Au début, le dirigeant de Bad Tölz ne les croit même pas et pense qu'ils veulent seulement être rassurés sur les projets sportifs du club. Mais quand Schneitberger affirme que leurs intentions de départ sont sérieuses, Heidel s'exclame : "Vous êtes complètement fous !"

Pas d'aide des traîtres !

L'évènement est impensable, car jamais jusqu'alors deux internationaux en exercice n'avaient quitté la Bavière pour un club "étranger". C'est encore plus improbable quand le club en question n'évolue qu'en deuxième division ! Les dirigeants de Bad Tölz refusent tout contact ou arrangement avec la DEG et déclenchent une campagne de presse à l'encontre des deux joueurs qui leur tournent le dos. On crève les pneus de la voiture de Schneitberger et on lacère la carrosserie : il comprend qu'il est devenu persona non grata dans sa ville.

Les règlements internationaux du hockey amateur sont extrêmement dissuasifs contre les transferts non autorisés. Si un joueur part sans l'accord de son club, il lui est interdit de participer à tout match officiel ou amical pendant dix-huit mois. Et Düsseldorf ne peut guère se plaindre d'une règle qu'il avait lui-même appliquée avec fermeté : quelques années plus tôt, Peter Rohde avait dû vivre deux saisons blanches en quittant la DEG, relégué à la première saison de la nouvelle Bundesliga, pour les Preussen de Krefeld.

Quand Reif et Schneitberger emménagent dans un appartement commun à Düsseldorf, ils doivent donc se priver de compétition et se contenter des entraînements. Ils assistent en spectateurs à la réussite du pari de la DEG, qui décroche quand même la promotion sans eux. Avec cette montée, la DEG gagne sur toute la ligne. Bad Tölz, qui avait refusé 50 000 marks un an plus tôt, accepte maintenant une indemnité de 25 000 marks (en nature, sous la forme d'une surfaceuse neuve) pour libérer les deux joueurs avant leur seconde saison de suspension. Le transfert est immédiatement rentabilisé. Düsseldorf organise en effet trois rencontres amicales de fin de saison contre les principaux clubs rhénans. Le public a tellement hâte de voir les deux vedettes, enfin libres de jouer, que 10 000 spectateurs affluent à chaque match malgré l'absence d'enjeu. Le succès sportif, financier et populaire est total.

La patinoire de la Brehmstraße est le meilleur atout de la DEG. Avec ses 10 500 places souvent remplies, Düsseldorf a désormais la meilleure affluence du pays, et la gardera pendant trente ans. On s'arrache les places, et un jour autour de la patinoire, un homme aperçoit les hockeyeurs et leur propose sa voiture - une Volkswagen encore en bon état - en échange des billets qu'il n'a pu se procurer. Le bon Otto lui donnera deux places, mais lui rendra les clés et les papiers du véhicule dans un sourire : c'est cadeau. Avec une telle ferveur populaire, dès l'arrivée en Bundesliga, la Brehmstraße devient une forteresse dans laquelle peu d'équipes arrivent à s'imposer. Lorsqu'il faut se déplacer en Bavière, en revanche, l'accueil est beaucoup plus "froid" pour les Rhénans...

Rien n'égale ainsi la réception qui est réservée par Bad Tölz à ses anciens enfants, Reif, Schneitberger mais aussi le nouvel entraîneur Hans Rampf, autre ancien champion des Tölzer. La vengeance s'abat comme la foudre sur les renégats de Düsseldorf : 12-0 ! Une anecdote décrit mieux que tout l'ambiance hostile qui régnait ce soir-là. Quand une fermière locale, positionnée derrière la bande dans le coin, s'est pris un palet en plein visage, Schneitberger a voulu porter secours à la jeune femme qui saignait et la conduire à l'infirmerie. La blessée s'écrie : "Va-t'en ! Je ne me laisserai pas aider par un traître à sa patrie !"

L'architecte des succès de Düsseldorf

La saison suivante, les duels entre la DEG et Bad Tölz donnent de nouveau lieu à deux confrontations d'anthologie. À l'aller, Schneitberger repousse déjà les limites du courage en se couchant devant tous les tirs de ses ex-coéquipiers - une spécialité rare à l'époque - avec un temps de glace monstrueux. Au retour, un slap dévié le foudroie en plein visage à la 44e minute, et il quitte la glace avec le nez cassé. Dans les deux cas, la DEG s'impose et file vers le titre. Pour ne pas manquer l'évènement, Schneitberger revient au jeu avec un masque spécial. Les supporters de Düsseldorf, grands spécialistes du détournement de chansons, chantent en son honneur "Marmor, Stein und Eisen bricht, aber unser Otto nicht" (le marbre, la pierre et le fer se brisent, mais pas notre Otto) sur l'air du succès schlager du moment où ils ont remplacé "amour" par "Otto"... Aucun joueur allemand ne suscitera autant de chants à sa gloire que Schneitberger.

Après quinze années de domination bavaroise, le premier titre de Düsseldorf change le destin du hockey allemand. Le transfert des deux joueurs est un moment précurseur du professionnalisme. Schneitberger est un semi-pro, mais ses cachets accumulés lui permettent de se payer rapidement une Porsche blanche rutilante. Pour autant, sa carrière professionnelle se poursuit par ailleurs dans l'architecture, et elle est parfois difficile à concilier avec le rythme du hockey de gaut niveau.

Ses deux passions peuvent aussi se rejoindre : Schneitberger est ainsi l'architecte de la maison construite à Hilden pour Petr Hejma, un réfugié tchécoslovaque à qui il a fait une place à côté de lui dans le vestiaire. La star de l'équipe a adopté, sans jamais avoir d'attitude concurrentielle, celui qui prendra un peu sa place dans le cœur des supporters, et en tout cas dans les chants qui lui seront désormais principalement dédiés. Ils remportent ensemble un deuxième titre en 1972, avec Xaver Unsinn comme entraîneur.

Otto Schneitberger n'est plus un cadre de l'équipe nationale, qui a opéré un rajeunissement, Schneitbergermais il envisage un retour pour participer à ses cinquièmes Jeux olympiques, une performance alors inédite pour un sportif allemand. Mais le sélectionneur, qui n'est autre que Xaver Unsinn, demande à ses joueurs de s'engager toute la saison, y compris aux championnats du monde. Schneitberger n'a plus le temps de s'absenter pour deux compétitions internationales, car il dirige alors la reconstruction de la librairie Stern à Düsseldorf.

L'étoile Schneitberger s'était déjà éteinte en club. En dix ans, la DEG a remporté trois titres, et seuls deux joueurs ont participé à chacune de ces victoires : Reif et Schneitberger, les inséparables, qui devaient seulement rester pendant quatre ans le temps de leurs études. Mais après le troisième titre de Düsseldorf en 1975, l'attaquant prend sa retraite du haut niveau et le défenseur n'est pas reconduit. Il passe chez le rival de l'autre rive du Rhin - Krefeld - et se venge dès la première confrontation contre son ancien club - qui ne conservera pas son titre - en marquant le but gagnant d'une victoire 5-1.

Otto Schneitberger ne jouera qu'un an à Krefeld, avant de commencer une carrière de coach qui lui vaut le titre d'entraîneur de l'année en 1978. Sur le banc, il est adepte du forechecking, et exige de ses joueurs de ne pas faire de sentiment pour se rendre maître des bandes par un jeu physique. Le Bavarois aura la particularité d'écumer tous les principaux clubs de Rhénanie du nord (Krefeld, Düsseldorf, Cologne, Iserlohn, Duisburg et quelques années plus tard Ratingen) au cours de sa carrière d'entraîneur. De quoi ancrer un peu plus l'ancien numéro 2 dans les mémoires populaires rhénanes.

Ces passages chez les rivaux locaux n'ont pas atténué la portée de Schneitberger dans l'histoire du hockey à Düsseldorf. Dans cette ville, tout le monde le vénère... sauf peut-être l'équipe féminine. En 1987, il déclenche une polémique en déclarant que, avec un bon gardien dans les cages, il pourrait battre à lui seul - et à 47 ans - une formation féminine avec cinq joueuses de champ. Des déclarations qui ulcèrent les filles des Eisbären de Düsseldorf, qui ont remporté trois des quatre premiers titres de championnes d'Allemagne en hockey féminin. "Otto était notre idole, mais depuis qu'il a dit ça, on a perdu toute sympathie pour lui". Le hockey féminin croîtra et la controverse sera oubliée. Ce genre de déclarations est aujourd'hui moins imaginable.

En 1997, Otto Schneitberger fait un infarctus lors de vacances en Crète mais il s'en remet bien. En 2006, un sondage l'élit meilleur joueur de la DEG de tous les temps, et dix mille spectateurs le célébrent alors dans la patinoire de la Brehmstraße, juste avant que l'équipe première ne parte jouer dans le nouvel ISS Dome. Si ce sont les lieux de légende qui font des hommes de légende, alors Schneitberger peut se targuer d'être à jamais l'idole de la patinoire mythique du hockey allemand.

Marc Branchu

 

 

Statistiques

                                          MJ    B   A  Pts    Pén
1955/56 EC Bad Tölz          Oberliga      1    1
1956/57 EC Bad Tölz          Oberliga     16    1
1957/58 EC Bad Tölz          Oberliga     20    4
1958/59 EC Bad Tölz         Bundesliga    14    5
1959/60 EC Bad Tölz         Bundesliga    14    5
1959    Allemagne           Qualif. JO     1    0   0    0     0'
1959/60 Allemagne             Amicaux      5    2   0    2     4'
1960    Allemagne               JO         6    0   0    0     2'
1960/61 EC Bad Tölz         Bundesliga    28    5
1960/61 Allemagne             Amicaux      1    0   0    0     2'
1961    Allemagne            Mondial A     6    2   1    3     8'
1961/62 EC Bad Tölz         Bundesliga    20    6
1961/62 Allemagne             Amicaux      8    1   1    2    16'
1962    Allemagne            Mondial A     7    0   0    0    20'
1962/63 EC Bad Tölz         Bundesliga    20    5
1963/64 EC Bad Tölz         Bundesliga    20    6
1963    Allemagne           Qualif. JO     2    0   0    0     6'
1963/64 Allemagne             Amicaux      4    0   1    1     2'
1964    Allemagne               JO         8    1   1    2     6'
1964/65 Düsseldorfer EG    --------------- suspendu --------------
1964/65 Allemagne             Amicaux      1    1   0    1     0'
1965/66 Düsseldorfer EG     Bundesliga    26   11
1965/66 Allemagne             Amicaux      2    0   1    1     0'
1966    Allemagne            Mondial A     7    1   1    2    10'
1966/67 Düsseldorfer EG     Bundesliga    26   13   6   19
1967/68 Düsseldorfer EG     Bundesliga    28    7   7   14
1967/68 Allemagne             Amicaux      5    0   0    0     0'
1968    Allemagne               JO         6    0   0    0     6'
1968/69 Düsseldorfer EG     Bundesliga    30    6   8   14
1968/69 Allemagne             Amicaux      1    0   0    0     0'
1969    Allemagne            Mondial B     6    0   0    0    12'
1969/70 Düsseldorfer EG     Bundesliga    36    7   6   13
1970/71 Düsseldorfer EG     Bundesliga    36   21  11   32
1971    Allemagne            Mondial A    10    1   0    1     6'
1971/72 Düsseldorfer EG     Bundesliga    32   10   7   17
1971/72 Allemagne             Amicaux     10    1   1    2     0'
1972    Allemagne               JO         5    0   1    1     6'
1972    Allemagne            Mondial A    10    2   1    3    18'
1972/73 Düsseldorfer EG     Bundesliga    40   17   6   23    89'
1973/74 Düsseldorfer EG     Bundesliga    35    3   5    8    71'
1974/75 Düsseldorfer EG     Bundesliga    31    5   4    9    49'
1974/75 Allemagne             Amicaux      6    1   1    2     0'
1975    Allemagne            Mondial B     7    0   1    1     2'
1975/76 Krefelder EV        Bundesliga    36    9   5   14    70' 

Totaux en élite (Oberliga/Bundesliga)    509  147
Totaux en équipe d'Allemagne             124   13  11   24   126'

 

Palmarès

- Champion d'Allemagne 1962, 1967, 1972, 1975

 

 

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