Berliner SC

 

Localisation : Berlin, capitale de l'Allemagne, et plus précisément Berlin-ouest (quartier de Charlottenburg) lors de la partition de la ville pendant la guerre froide.

Nom du club : Berliner Schlittschuh Club ("club de patinage de Berlin").

Fondation du club : 1893 (hockey sur glace en 1908).

Couleurs : noir, blanc et rouge

Palmarès : Champion d'Allemagne 1912, 1913, 1914, 1920, 1921, 1923, 1924, 1925, 1926, 1928, 1929, 1930, 1931, 1932, 1933, 1936, 1937, 1944 (en "association de guerre" avec Brandenburg), 1974, 1976.

 

 

Premier club allemand à adopter le hockey canadien

Le Berliner Schlittschuh Club est fondé en mai 1893 par quelques amateurs de patinage de vitesse qui se détachent du premier club de patinage berlinois, le Berliner Eislauf-Verein qui date de 1886. L'engouement est élevé, profitant notamment de l'intégration d'une section tennis en 1897 qui permet une activité sur les douze mois de l'année : les deux sports ont besoin d'un même terrain plat, qui sont gelés l'hiver pour y patiner et utilisés pour taper la balle l'été.

L'intérêt principal des membres dérive très vite du patinage de vitesse vers le patinage artistique, même si Hermann Kleeberg, jeune patineur du club natif de Francfort, établit à l'âge de 21 ans un record du monde officieux du 1000 mètres sur la piste de Davos en décembre 1897 (1'47"1). Il est difficile de maintenir des résultats sportifs élevés face à des concurrents de zones plus froides qui ont de meilleures conditions d'entraînement.

Tout changera avec l'ouverture de la première patinoire artificielle d'Allemagne, l'Eispalast, en 1908, dans un décor luxueux avec des tables de restaurant en bord de piste et à l'étage. Dès lors, le meilleur patineur artistique du BSC Werner Rittberger remporte ses premières victoires... de même que l'équipe de hockey sur glace.

L'idée d'admettre le hockey sur glace à l'essai au sein du club date de décembre 1900. Dès l'origine, les hockeyeurs berlinois utilisent des palets, mais ils sont les seuls à le faire en Allemagne, car ailleurs on pratique le bandy, avec une balle. Hermann Kleeberg, qui s'occupe de développer le hockey au sein du BSC, prend une initiative déterminante. Deux mois seulement après l'ouverture de l'Eispalast, il organise un tournoi international et décide d'y adopter les règles de la Ligue Internationale de Hockey sur Glace (LIHG) qui a été fondée quelques mois plus tôt à Paris sans représentant de l'Allemagne (pourtant invitée). On joue avec un palet, et le Berliner SC adopte les crosses canadiennes de hockey... alors que son premier adversaire - le SC Charlottenburg - emploie encore des crosses courbes de bandy. Le résultat de 13-0 est sans appel, alors que les précédentes confrontations s'étaient soldées par des scores plus petits de 1-0 et 6-0. Le BSC démontre ainsi la supériorité de ce nouvel accessoire... qu'il ne maîtrise pas encore totalement. La demi-finale perdue contre le Club des Patineurs de Paris (2-9) traduit la nette différence dans la qualité des tirs entre les deux équipes.

La meilleure équipe de bandy, Leipzig, a refusé de participer et résiste encore à abandonner le sport qu'elle aime, même si elle a envoyé en observateur son meilleur joueur Wilhelm Schomburgk qui fait office de juge de but. Tant pis, le développement du hockey se fera sans eux, car le public berlinois, lui, est conquis par ce nouveau sport.

Le hockey sur glace s'empare du Berliner SC. En 1911, 3 des 5 membres du comité directeur du club en sont issus. Les hockeyeurs viennent en nombre aux assemblées générales pour défendre leurs idées, ce qui entraîne un tract d'opposants qui dénonce ce sport dispendieux qui exige encore 600 marks de plus mais apporte plus de coûts que de prestige au club. L'équipe de hockey démontrera le contraire à la fin de cet hiver en remportant à Bruxelles le championnat LIHG 1912, la plus prestigieuse compétition européenne du moment, remportée également en 1913 à Saint-Moritz.

L'Eispalast ferme pendant la Première Guerre mondiale en 1915 et devient un théâtre (la Scala de Berlin). La fédération allemande de patinage (DEV) proscrit toute manifestation pendant la guerre. Pendant une permission, Hermann Kleeberg brave l'interdit en organisant des entraînements puis un match le 10 janvier 1917 à l'Admiralpalast, l'autre patinoire berlinoise avec sa piste un peu plus petite et pas totalement régulière (52 mètres de long sur 20 de large d'un côté et 24 de l'autre. les équipes sont mixées car beaucoup de joueurs sont au front. Le Dr Hartley y participe, deux mois avant de retourner aux États-Unis du fait de l'entrée en guerre de ce pays contre l'Allemagne. Le bulletin du club rend alors hommage à cette première grande figure - son meilleur joueur - même s'il s'agit désormais d'un ennemi dans un pays en guerre où la propagande règne.

 

Le BSC apprend le hockey aux Suédois et fait la paix avec les Français

La paix revenue, Hermann Kleeberg devient plus que jamais la figure majeure du Berliner SC. Trésorier, puis secrétaire, toutes il en aura occupé toutes les fonctions sauf celle de président. Mais en 1920 il est nommé au tout nouveau poste de directeur du club. Il en devient le premier employé à plein temps, avec un salaire de 400 marks. Également rédacteur en chef de Deutscher Wintersport, la revue officielle de la fédération allemande de patinage, Kleeberg est partout. Ses talents pour les langues étrangères (il parle anglais, français et tchèque couramment) en font un atout précieux pour organiser des tournées à l'étranger.

Si Hartley n'est plus là, deux membres du club facilitent ce rétablissement des relations internationales : Max Holsboer, le Suisse qui deviendra capitaine et supervisera de ce fait les entraînements, et Nils Molander, en quelque sorte le deuxième Suédois à avoir joué au hockey sur glace - à la façon canadienne - quand tous ses compatriotes jouaient au bandy (le premier hockeyeur suédois était Hans Georgii lui aussi au sein du Berliner SC). Comme ils étaient déjà présents avant et même pendant la guerre (lors de la réunion de janvier 1917 citée ci-dessus), Holsboer et Molander se verront même accorder le droit de jouer par dérogation en championnat d'Allemagne, alors que la compétition nationale se joue normalement sans les étrangers. Molander, qui a une boutique de sport à Berlin, deviendra aussi l'entraîneur des plus jeunes enfants du club (les Pimpfe) dans la décennie suicante.

Le premier déplacement du Berliner SC après-guerre a lieu à Stockholm en 1921 pour l'inauguration du Stadion - première patinoire dédiée au hockey sur glace dans la patinoire suédoise - et ce premier échange contribuera à la venue à Berlin de la plupart des meilleurs pionniers du hockey suédois. Ils s'avèrent tous bien meilleurs que les joueurs allemands car ils sont bien plus athlétiques - comme ils l'avaient montré lors des Jeux olympiques d'Anvers alors qu'ils découvraient les crosses canadiennes. Le second déplacement essentiel - après une escale à Vienne - a lieu "chez" Holsboer, dans le Palace Hotel de Davos qui appartient à sa famille. Il s'agit de la toute première Coupe Spengler, un tournoi qui deviendra une institution plus que centenaire en Suisse pendant les fêtes de fin d'année : les Berlinois finissent deuxièmes derrière l'université d'Oxford, mais l'évènement est surtout qu'une équipe allemande a affronté des Britanniques, les anciens ennemis, et pas seulement des représentants de pays neutres (la Suède et la Suisse) ou d'anciens alliés.

La rancœur est encore plus forte en Belgique et en France, deux nations traumatisées sur leur sol par les tranchées de la plus destructrice des guerres, celle que l'on espère être la "der des ders". Les dirigeants belges de la LIHG, Paul Loicq et André Poplimont, ne sont toujours pas prêts au pardon et continuent d'exiger que les Allemands restent mis au ban des rencontres internationales. L'intégration de l'Allemagne dans la SDN ne se fera qu'en septembre 1926 dans un moment de grande réconciliation diplomatique. La LIHG avait enfin assoupli sa position huit mois plus tôt en autorisant officiellement un match entre le Chamonix Hockey Club et le Berliner SC, sur terrain neutre en Suisse (à Caux).

La première dream team internationale

La saison qui suit, en 1926/27, les Chamoniards seront invités à Berlin - photo ci-dessus - et l'un d'eux, Gérard Simond, intégrera l'équipe au maillot rayé blanc et noir.

Symbole d'un sport qui dépasse la politique et lie les nations, Simond sera imité deux ans plus tard par son compatriote Albert Hassler. Le meilleur hockeyeur français joue donc dans la capitale allemande, et le meilleur hockeyeur autrichien (Herbert Brück) aussi. Le Berliner SC est alors le meilleur club d'Europe. C'est une véritable "dream team" du hockey sur glace, constituée uniquement avec des joueurs qui viennent étudier ou travailler. Seuls deux hockeyeurs ont reçu de l'argent du club, le Tchèque Karel Kozeluh - engagé comme entraîneur de tennis et exclu en conséquence par la LIHG pour professionnalisme - et le Suédois "Lulle" Johansson. En revanche, l'équipe de hockey sur glace rapportait gros au club, à l'opposé des reproches qui lui étaient faits quinze ans plus tôt.

L'internationalisation du Berliner SC correspond en effet à deux phases distinctes. Dans un premier temps, il s'agit d'aller trouver à l'étranger les conditions d'entraînement dont on ne dispose pas chez soi. Dans un second temps, il s'agit d'attirer des vedettes pour les présenter au public berlinois. Dans l'intervalle, le club a changé de dimension, tant économique que sociale.

Un modèle de financement autonome inédit

Après une fusion avortée avec le Berliner Sport-Club en 1920, le Berliner Schlittschuh Club décide de se doter de ses propres terrains de sport. Il les construit près de la Reichskanzlersplatz (aujourd'hui appelée Theodor-Heuss-Platz), tout à l'ouest de Berlin. Ses membres participent aux travaux, comme on le voit sur la photo ci-contre où ils aménagent les gradins en étages dans des tenues qui trahissent leur appartenance bourgeoise. Les terrains de tennis qui sont mis en place sont mis en glace l'hiver pour jouer au hockey. Mais l'activité ne se limite pas tout à fait au sport. Le "Clubhaus" (version allemande de club house) adjacent - de nos jours l'International Club de Berlin qui reste une adresse chic - devient le lieu très select de la bonne société. Son accès est réservé aux membres et à leurs invités personnels, qui comprend les plus grandes personnalités de la ville. Autant dire que le statut de membre du club est privilégié.

Dans cette période d'extrême inflation du début des années 1920, le Berliner SC a mené à bien son projet de construction, et il en tire bénéfice grâce aux soirées de casino qui alternent avec les soirées dansantes. Les installations ont été financées par souscription des membres du club, sans dette extérieure. Ce financement strictement privé se veut aussi un contre-modèle au pouvoir socialiste de la République de Weimar, alors que les patineurs sont issus de la haute société conservatrice.

Mais le patinage sur glace naturelle est trop dépendant des conditions climatiques. L'hiver 1922/23 est beaucoup trop doux, avec 12 jours de glace seulement, pour permettre une pratique régulière du hockey sur glace. Les trois patinoires artificielles qui existaient dans la ville ont toutes capoté (l'Admiralspalast a été la dernière à fermer en avril 1922 pour devenir à son tour un théâtre) mais le Berliner SC ne désarme pas.

Le modèle de financement qui a servi pour ses propres installations est répliqué pour financer intégralement la remise en glace du Sportpalast, dont les propriétaires sont suisses mais dont les gestionnaires sont allemands. Ce palais des sports berlinois avait été construit en tant que patinoire en 1910 mais la glace avait été enlevée pendant la guerre. Grâce à des actions vendues 100 marks à ses membres, le Berliner SC achète les machines frigorifiques Borsig et les loue au Sportpalast, en utilisant le foncier comme hypothèque. La proposition d'installer la plus grande patinoire d'Europe (2200 m²) est acceptée par les dirigeants du Sportpalast car ils n'ont rien à débourser. En retour, le club obtient des conditions avantageuses : usage exclusif pendant 2 jours par semaine, ce qui permet aux hockeyeurs de s'entraîner le mardi et le jeudi de 20h00 à 22h00, ses propres vestiaires pour 500 personnes (hommes et femmes) et 50% de réduction sur toutes les places et entrées, plus un pourcentage des recettes sur les évènements organisés par le BSC.

Un duo légendaire aux parcours contrastés

Le hockey sur glace crée l'engouement et remplace immédiatement le sport-phare du Sportpalast, la boxe. Berlin devient une grande ville sportive, l'activité se démocratise. Les loges, où l'on porte smokings et robes du soir, côtoient des tribunes plus populaires. Parmi les premiers spectateurs du Sportpalast en décembre 1925, un gamin de 15 ans nommé Rudi Ball. Il tombe aussitôt amoureux du hockey sur glace et veut pratiquer ce sport, lui qui avait un peu foulé la glace dans de trop vieux patins de son père. Après une première inscription au SC Brandenburg, il rejoint en 1927 le Berliner SC. Petit mais très rapide et élégant, Ball passe en deux ans de l'équipe réserve à l'équipe nationale, aux côtés de Gustav Jaenecke, qui avait débuté quatre ans plus tôt quand le Berliner SC avait créé sa première équipe de jeunes. Ils symbolisent le mariage entre deux générations très proches, celle qui a fait ses armes dans des conditions difficiles sur glace naturelle et celle qui a été ébahie par l'ambiance du Sportpalast.

Maintenant qu'ils disposent de nouveau de meilleures conditions d'entraînement, les hockeyeurs allemands progressent à pas de géant. En quelques années, Rudi Ball et Gustav Jaenecke deviennent les deux meilleurs hockeyeurs d'Europe. Ce sont maintenant eux qui sont les idoles du public, et plus les étrangers.

Pourtant, il existe des indices d'une certaine érosion de l'intérêt. Alors qu'il y avait 120 jours de glace à l'ouverture du Sportpalast, il n'y en a plus que 30 en 1931. La concurrence est forte entre les évènements sportifs de plus en plus nombreux et la salle est uniquement disponible pour les grandes occasions. Il y a donc aussi moins de glace aussi pour s'entraîner, et c'est pour avoir accès à leurs patinoires en automne que le BSC se fait inviter tous frais payés par les équipes anglaises, puis par le promoteur Jeff Dickson à l'ouverture du Vel d'Hiv de Paris en 1931. Français et Britanniques commencent à recruter des pros canadiens et une autre ère s'ouvre. Ce sera aussi le cas pour le Berliner SC car P.G. Hoffmann, le président qui a créé ce modèle financier à succès avec Kleeberg, a démissionné en 1931.

La nazification du BSC

L'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler en 1933 ne tarde pas à bouleverser toutes les structures de la société, et les clubs sportifs n'y échappent pas. Même s'ils sont minoritaires au sein du Berliner SC, les nazis militants ne tardent pas à y prendre le pouvoir, en profitant de la passivité de la majorité bourgeoise conservatrice. Le président depuis 1931, Hans Nonn, embrasse vite le discours officiel et salue ainsi dans le bulletin du club le retour aux couleurs impériales - qui sont aussi celles du Berliner SC - à la place du drapeau noir-or-rouge honni de la république : "Une décision libératrice prise par le peuple a nettoyé toutes les ordures. La voie est libre, nous sommes debout au soleil du printemps, le noir-blanc-rouge veille sur l'Allemagne. Une joie fière nous remplit d'être de nouveau allemands. [...] Nous n'avons rien à réapprendre au BSC. Nous sommes nés noir-blanc-rouge en 1893 dans la vieille Allemagne. Nous le sommes restés 40 ans, autonomes ! Nous sommes aujourd'hui deux fois plus heureux de notre tradition."

On trouve vite plus fanatique que soi. En janvier 1934, Hermann Busse prend la tête du Berliner SC. Ce nazi très actif se fait appeler "Führer" au sein du club, où il prend toutes les décisions seul, sans le conseil d'administration. Les anciennes institutions démocratiques sont abolies. Le régime nazi s'appuie néanmoins sur les connaissances des personnalités spécialisées, par exemple dans le domaine du sport. Celles-ci peuvent occuper une fonction officielle à condition de prendre la carte du parti. Le responsable régional des sports de glace et sur roulettes est ainsi un membre du BSC, Alfred Steinke, de même que celui qui occupe le poste similaire pour le hockey sur gazon, l'ancien gardien de hockey sur glace Fritz Linke. Mais l'homme-clé est plus que jamais Hermann Kleeberg : celui qui a fait des Jeux olympiques d'hiver 1936 à Garmisch-Partenkirchen l'œuvre de sa vie dirige les sports de glace et développe les patinoires artificielles dans toute l'Allemagne avec le soutien du pouvoir.

L'illusion de continuité serait parfaite... s'il ne manquait pas un homme dans l'équipe. D'origine juive, Rudi Ball - bras dessus bras dessous avec Jaenecke sur la photo ci-contre - n'est plus là et est parti jouer à Milan (dans une Italie fasciste encore épargnée de l'obsession antisémite qu'elle importera d'Allemagne). En son absence, le Berliner SC, qui avait gagné 14 des 16 premiers titres de champion d'Allemagne (battu par Munich en 1922 et forfait en 1927), perd sa suprématie nationale. Il reste champion en 1933 à la faveur d'une finale polémique rejouée, mais n'accède même pas à la finale les deux années suivantes. Et puis, en janvier 1936, à un mois des Jeux olympiques d'hiver, Rudi Ball fait son retour ! A-t-il servi d'alibi pour l'opinion internationale comme le cas plus médiatisé de l'escrimeuse Helene Mayer, émigrée aux États-Unis mais autorisée à représenter l'Allemagne même si elle est elle aussi "demi-juive" ? A-t-il bénéficié des plaidoyers de ses coéquipiers Erich Römer et Gustav Jaenecke qui disent tous deux avoir intercédé auprès du ministre des sports du IIIe Reich, Hans Tschammer von Osten ?

En tout cas, le retour de Rudi Ball coïncide avec deux nouveaux titres du Berliner SC, en 1936 et 1937, auquel il contribue grandement. Ses parents, qui ont une boutique de confection, ont tout perdu avec le boycott des magasins juifs et vivent dans la misère. Ils émigreront en 1938 en Afrique du Sud pour suivre leur autre fils Heinz, qui a investi dans les mines d'or. Rudi ne les rejoindra que dix ans plus tard, continuant à jouer au hockey pendant toute la guerre en Allemagne. Il reste une vitrine protégée, un cas d'exception.

Pour le reste, la prise de pouvoir des nazis est totale. La direction du Berliner SC envoie l'ordre suivant à tous ses jeunes : "Chaque jeune membre du BSC devient membre des jeunesses hitlériennes ! Celui qui n'a pas rempli son inscription pour l'organisation de jeunesse qui lui correspond avant le 30 novembre 1937 se nuit à lui-même car il ne pourra participer à aucun cours ni aucune compétition." Les clubs sportifs deviennent des outils d'embrigadement. La formation des jeunes, qui avait fait la fierté du BSC, devient l'apanage exclusif des nazis. On ne s'embarrasse plus des apparences ou des gêneurs. Hermann Kleeberg démissionne de toutes ses fonctions en 1938. En fait il a été poussé vers la sortie. Ses réseaux internationaux, utiles pour organiser les Jeux olympiques en amadouant les visiteurs, ne sont plus utiles et sont de dangereuses manifestations de tolérance envers l'étranger dans une Allemagne qui se prépare à la guerre.

L'apparence de normalité dans les activités sportives au début de la guerre s'estompe vite quand l'Allemagne nazie ouvre le front russe. Le championnat 1944, que remporte une association de guerre à laquelle participe le Berliner SC, est le dernier reste de la propagande dans des villes en ruine. En août 1944, quand l'étau se resserre sur tous les fronts et que les nazis, toute manifestation non liée à la guerre est interdite, il n'y a plus de sport après cette date.

Exproprié puis relancé par le plus jeune des banquiers

C'est Rudi Ball qui dirige l'entraînement de l'équipe après la guerre. Il organise aussi un voyage de la finale 1947 à Garmisch-Partenkirchen (où joue Jaenecke) pendant que le gardien Gerhard Ball sert d'interprète avec les troupes d'occupation. Un an plus tard, les frères Ball partent définitivement en Afrique du Sud, ils sont champions une dernière fois. Jusqu'à ce moment, l'équipe de hockey existait... mais pas le Berliner SC. Elle évolue sous le nom de "Eichkamp" car les équipes sportives portent le nom de leur quartier de résidence. Tous les clubs antérieurs sont en effet réputés dissous et doivent être recréés en vérifiant le passé de leurs dirigeants dans le cadre du processus de dénazification. En juillet 1948, d'anciens membres du club, autour de l'éternel Hermann Kleeberg (qui restera membre jusqu'à sa mort en 1954) et du jeune Heinz Henschel, se réunissent pour re-créer le Berliner Schlittschuh-Club.

Mais les Britanniques ont installé leur club des officiers dans le club-house que le BSC avait bâti. Les membres du club sont juste autorisés à utiliser les terrains de tennis, mais ils devront se construire de nouveaux vestiaires. Cette expropriation fera l'objet d'un dédommagement en 1955, après un inventaire, mais les Britanniques refuseront toujours de rendre la propriété des lieux. Privé du bâtiment qui a fait son attrait, le BSC compte deux fois moins de membres, lui qui en avait 1000 dans l'entre-deux-guerres.

Le hockey sur glace est la seule section du club qui évolue encore à haut niveau. On le doit à Heinz Henschel (à gauche sur la photo). Celui qu'on surnomme le "plus jeune banquier de tous les temps" (il a alors 31 ans et tient une banque privée qui fait surtout office de bureau de change) a le projet fou de reconstruire le Sportpalast, détruit par les bombes alliés en janvier 1944. Cela fait grincer des dents car l'ancien temple du sport berlinois est maintenant associé dans les mémoires au discours de Goebbels de février 1943 sur la "guerre totale". Avec la même audace entrepreneuriale que ses prédécesseurs trente ans plus tôt, il récolte des fonds privés pour financer la reconstruction et négocie en échange 10% des recettes aux guichets lors des évènements de sports de glace. La soirée d'ouverture du 26 octobre 1951 déçoit toutefois le public qui estime ne pas en avoir eu pour son argent (l'entrée était de 4 à 8 marks) : il est venu célébrer l'idole Gustav Jaenecke mais celui-ci arrive de Garmisch avec trois heures de retard et décide alors de se faire discret en ne participant pas aux cérémonies. Quant au match entre le Berliner SC et l'équipe d'Allemagne reformée, il est déséquilibré : 2-20 !

Henschel aura pourtant tout fait pour avoir un bel effectif. Il est à la fois président du club et capitaine de l'équipe, sur la deuxième ligne d'attaque. C'est lui qui a signé les contrats des joueurs, et il a même recruté "Shorty" Malacko, récent médaillé d'or aux championnats du monde de Paris. Néanmoins, l'équation économique n'est pas celle espérée. Les dépenses ont explosé, notamment à cause d'un surcoût important dans les travaux. Les recettes ne sont pas au rendez-vous, le Sportpalast n'est plus aussi attractif qu'avant pour le public, y compris au niveau du confort parce qu'il est découvert (le toit ne sera reconstruit qu'en 1953). Des joueurs commencent à partir au Nouvel An et on comprend qu'ils n'ont pas reçu l'argent promis. Malacko file en cours de saison chez le club rival berlinois (le LLTC Rot-Weiss), son copain et compatriote canadien Jim Yucytus reste mais il est expulsé de son hôtel parce que la note n'a pas été payée ! Le déficit de la section hockey est de 20 000 marks. Les dirigeants du Berliner SC refusent d'assumer les contrats pourtant signés et renvoient les factures à Henschel. Le comité directeur destitue le président... et le fait même renvoyer du vestiaire en tant que joueur lors d'un match de championnat ! Les vétérans Werner George et Kurt Adler, qui formaient une première ligne de vétérans de plus de 35 ans, se montrent solidaires de leur coéquipier et quittent le club. Henschel, lui, dirige toujours la fédération berlinoise de patinage et deviendra le directeur de l'équipe nationale et le représentant de l'Allemagne dans la fédération internationale. Il est par ailleurs joueur du LLTC... mais celui-ci dissout sa section hockey en 1953 après deux tentatives infructueuses de promotion dans l'élite.

Quand un hockeyeur de l'Ouest joue pour l'Est... mais revient

Par défaut, le Berliner SC redevient donc le club-phare de Berlin-Ouest. La ville commence à être administrativement coupée en deux, comme le pays, mais la frontière n'est pas encore fermée. Les hockeyeurs du club s'entraînent dans l'Allemagne de l'Est communiste, à la toute neuve Werner-Seebinder-Halle, où ils ont de la glace toute l'année et où ils organisent même quelques rencontres de gala. Cela restera le cas jusqu'à ce que s'ouvre la patinoire du quartier de Neukölln en décembre 1956 : une patinoire en plein air, où l'on ne s'entend guère sous le bruit des avions car elle est située devant les pistes de l'aéroport de Tempelhof, mais une glace bénie pour des hockeyeurs qui ne pouvaient s'entraîner que vers minuit au Sportpalast. Le BSC a des membres du club qui habitent dans ce qu'on appelle alors encore la zone soviétique.

Les relations sont donc bonnes malgré les différences politiques. C'est pourquoi le Berliner SC hésite quand quatre internationaux est-allemands demandent à le rejoindre en 1957, maintenant que les conditions d'entraînement y sont correctes. Le club refuse dans un premier temps mais finit par accepter. Il est alors vilipendé par les journaux de l'Est. Deux jeunes transfuges, Gerhard Szengel et Adolf Klier, ne voient pas leur licence validée et sont suspendus un an. Il n'est pas sûr que leur présence aurait suffi à assurer la montée dès la première année. Malgré le retour comme entraîneur d'un certain Heinz Henschel - ce qui fait grincer quelques dents - avant les barrages de promotion 1957, le BSC s'incline 2-6 lors du match de promotion/relégation chez des Preussen Krefeld bien plus forts (2-6). Il obtiennent finalement la montée un an plus tard, en 1958. Ils n'atteignent pas l'élite pour autant, comme ils le pensaient initialement, car la fédération réforme le championnat pour créer une Bundesliga à 8 clubs. L'Oberliga pour laquelle ils se qualifient n'est plus que le deuxième niveau national. Mais pour le club, le plus important était de se sortir du championnat de Berlin, confiné dans une ex-capitale réduite de moitié, isolat au milieu d'un Etat ennemi (la RDA) qui se sentira encore plus coincé quand il sera entouré à partir de 1961 d'un Mur. Le Sénat de Berlin finance ses déplacement en avion vers les villes de l'Ouest (sauf à Bad Nauheim où il se rend par un train qui traverse la frontière)

Le joueur-phare de ces années d'Oberliga est Helmut "Tatze" Borsutzki, cas emblématique de l'histoire complexe de la ville. Après avoir débuté "à l'Ouest", au Grunewald TC, et joué deux ans au BSC, il a rejoint en 1954 le SC Einheit Berlin, bien dénommé ("Einheit" = unité) car il attire des joueurs de tout bord, simplement parce qu'il offre les meilleures conditions de pratique du hockey. Du fait de son appartenance à ce club, Borsutzki est sélectionné quatre fois pour l'Allemagne de l'Est et perd notamment le match pour la qualification olympique 1956, devant désigner l'équipe qui représentera l'Allemagne, encore considérée comme un seul pays par le CIO. Peut-être à cause de ce passé, Borsutzki ne sera jamais sélectionné à l'Ouest et sera surnommé par ses coéquipiers le "meilleur hockeyeur n'ayant jamais joué pour l'Allemagne [de l'Ouest]". Revenu en 1958 lorsque le BSC remonte en Oberliga, il devient en 1963 le meilleur buteur de ce championnat de deuxième division avec 44 buts, exactement 2 par match.

Ce buteur est un peu seul car le Berliner SC est à la peine. Les 4000 places en tribune de la patinoire Neukölln sont souvent vides, et le club n'arrive guère à former des joueurs de niveau adéquat. Il se sauve seulement dans un barrage de relégation en 1962. Un nouveau gardien berlinois revient de Mannheim, Bernhard Seiffert, un des premiers joueurs allemands à avoir joué au Canada (chez une des meilleures équipes amateurs, les Whitby Dunlops, alors qu'il travaillait à Toronto. Il a un bon niveau - au point d'être appelé en équipe nationale le temps d'un match - et stabilise en milieu de tableau un club qui a légèrement modifié sa dénomination. Le Berliner Schlittschuh Club décide en 1963 que son abréviation sera désormais "BSchC" et non plus "BSC", pour se différencier des autres clubs berlinois aux mêmes initiales (surtout le Berliner Sport Club).

L'élargissement de la Bundesliga à dix équipes en 1965 fait monter les grands clubs rhénans. Le BSchC a une carte à jouer face à des concurrents bavarois. Le départ du gardien Seiffert sans accord du club (qui lui vaudra un an de suspension avant de pouvoir rejouer avec Bad Tölz) est étonnamment bien compensé par son habituelle doublure Jürgen Seelmann. L'effectif s'est élargi avec plusieurs recrues, mais le joueur-clé est toujours "Tatze" Borsutzki. Il inscrit trois buts dans la finale 1966 pour renverser le score de 0-5 à 8-6 contre Landsberg dans un match de légende... qui sera son dernier avec le club.

Un architecte pour reconstruire le colosse déchu

La montée en Bundesliga est alors un échec prévisible. L'arrivée de Walter Schacherbauer (Riessersee), qui a l'expérience de la Bundesliga, ne suffit pas à compenser le départ de Borsutzki. Les Berlinois redescendent aussitôt et la section hockey se divise tant parmi les dirigeants - avec une élection à une voix près qui est refaite une seconde fois - que dans le vestiaire, qui vit un exode chez le club concurrent, les BFC Preussen. En 1968/69, le BSchC se qualfie in extremis devant son concurrent pour une poule de promotion... qu'il finit à bout de souffle. Les joueurs s'en vont, l'entraîneur aussi. Le club demande une double dérogation à la fédération : la rétrogradation volontaire en ligue régionale et l'autorisation d'y être dirigé par un entraîneur sans diplôme - et donc bénévole (l'ancien joueur Rolf Brand).

Même si les seniors remportent la Regionalliga et remontent en 1970, c'est l'arbre qui cache la forêt au BSchC, dont aucune équipe de jeunes n'est championne de Berlin. La situation n'est pas brillante et le président du club omnisports Georg Kraeft est destitué à sa grande surprise lors de l'assemblée générale de mai 1970 (il mourra deux ans plus tard). Peu à peu, Kraeft avait surtout privilégié son autre position de directeur du Sportpalast. Il y appréciait les caisses remplies mais n'avait jamais investi dans le hockey sur glace car il ne croyait qu'à l'attractivité du patinage artistique.

Le nouveau président Heinz Lambrecht est un recrutement externe puisqu'il était président du TC Blau-Gold Steglitz. Il mise pour sa part sur le hockey sur glace en figure de proue du club, comme autrefois. Ses propositions aux BFC Preussen et à leurs joueurs sont d'abord perçues comme hostiles, mais après une saison de rivalité houleuse dans les derbys, le très sportif Heinz Klopstech, formateur proche de la glace, amène son équipe des Preussen au BSchC, qui absorbe aussi les équipes de jeunes du Hertha BSC. Au bout d'une seule année, Lambrecht a déjà réuni l'essentiel du hockey berlinois sous sa bannière.

Il faut dire que Heinz Lambrecht est architecte à l'origine. S'il s'est fait élire en présentant un projet sur trois ans, ce n'était pas juste un discours, mais une esquisse bien pensée. Et si le BSC a des moyens pour recruter, c'est parce qu'il s'appuie sur des fondations solides. Lambrecht a parfaitement analysé les forces et faiblesses du club. Il comprend que celui-ci est empêché de se développer en restant sur un bout de terrain laissé par les occupants britanniques. Il leur revend le foncier qui reste et négocie avec la ville un nouveau terrain - que la garnison britannique aidera gentiment à défricher pour faire preuve de fair-play - pour y construire - comme au bon vieux temps - un Clubhaus pour organiser des festivités, mais aussi sa propre glace artificielle en plein air. Sa gestion est déléguée à une société mais c'est un des rares clubs en Allemagne à être propriétaire de sa patinoire. La qualité des installations sportives change tout : le club passe de 510 à 1320 licenciés et se désendette totalement au cours des cinq premières années du mandat de Lambrecht !

En parallèle à ce projet au long cours, le Berliner Schlittschuh Club remonte une grosse équipe de hockey sur glace. Une association de soutien s'est montée dès novembre 1970 autour d'anciennes gloires dont Gustav Jaenecke, désormais directeur de banque qui mobilise ses réseaux économiques. En 1971/72, le club berlinois remporte l'Oberliga avec un total de 6 et bientôt 8 joueurs formés à l'étranger, alors que normalement seul un étranger est autorisé. Il s'agit en partie d'une coïncidence. Le BSC a engagé deux frères de 18 et 16 ans formés à Malmö, Karl-Gustaf et Axel Richter, de mère suédoise, mais dont le père allemand, chimiste de profession, a reçu une belle proposition d'emploi à Berlin. Le règlement prévoit qu'un joueur de moins de 22 ans n'est pas considéré comme étranger s'il est né en Allemagne, une opportunité dont le club berlinois profite en recrutant des Suédois supplémentaires en cours de saison.

Concernant les Tchécoslovaques, c'est une clause sur les réfugiés politiques qui leur permet d'être considérés comme allemands. C'est ce qui explique la présence des frères Karel et Dusan Slanina, nés et formés à Usti nad Labem puis arrivés en 1969 à Berlin-Ouest avec leur mère berlinoise. Karel Slanina, qui a joué au plus haut niveau junior en Tchécoslovaquie, a alors 17 ans. Cet ailier gauche très rapide et mobile est handicapé par son petit gabarit quand il s'agit d'approcher de la cage et il se fait donc plus passeur que buteur. Parallèlement à sa carrière dans le hockey, il a une bijouterie à son nom dans le quartier de Wilmersdorf (qu'il tiendra jusqu'à sa retraite à 66 ans)

Deux nouveaux titres pour Berlin

Avec la montée en Bundesliga de Berlin, cette présence massive des étrangers dérange les clubs bavarois, qui imposent en plein milieu de la saison - en décembre ! - un changement de règle limitant le total des étrangers à trois, y compris les jeunes ou exilés. C'est la preuve que le leur promu très fait peur. Et pour cause : le club a engagé deux grandes vedettes, les frères Funk, et le célèbre entraîneur Xaver Unsinn dont le chapeau (Pepita-Hut) est légendaire. Il ne le porte pas pour se faire remarquer, ni par coquetterie pour cacher sa calvitie, c'est juste qu'il explique prendre très vite froid quand il est tête nue ! Les hockeyeurs qui ont participé à la montée ont forcément moins de place avec les nouveaux mais décident d'eux-mêmes quand ils sentent qu'il est temps d'arrêter. L'entraîneur depuis deux ans, Danny Smit, n'a pas cette chance. Pour ne pas rompre son contrat, on le recycle dans un poste de management et de direction du hockey mineur. Il le vit comme une mise au placard et par en cours de saison chez le dernier Rosenheim, qu'il ne sauvera pas de la relégation.

Le changement de règlement n'arrêtera pas Berlin, qui réussit une meilleure seconde partie de saison avec comme héros Horst Grudde, seul Berlinois restant de l'équipe (avec le défenseur remplaçant Klaus Lamm) qui est passé de numéro 3 à numéro 1 devant le filet, en délogeant le portier international Franz Funk. L'autre atout est la deuxième meilleure affluence du pays, 4 520 spectateurs de moyenne, contre 320 deux ans plus tôt en Oberliga (et 450 au même moment pour les BFC Preussen). L'autre patinoire de Wedding étant trop petite avec ses 4 000 places, la majorité des rencontres ont eu lieu au Sportpalast, bâtiment à l'histoire noircie... dont la démolition est actée. La municipalité inaugure en octobre 1973 la nouvelle patinoire de la Jafféstrasse. Sa capacité est la même que le Sportpalast - 6 000 spectateurs - au grand dam des dirigeants du club qui en réclamaient 10 000. Mais, avec la hausse des prix d'entrée, ils auront déjà du mal à remplir six mille places.

Ce n'est pas faute d'avoir bâti une belle équipe, particulièrement forte à domicile. Après les rebondissements réglementaires la fédération a finalement décidé de passer la limite de 1 à 2 étrangers en 1973/74. Le Berliner SC en profite pour joindre au convaincant Hannu Koivunen - surnommé "Marlboro Man" pour son addiction aux cigarettes - un autre défenseur international finlandais, Jaakko Marttinen (photo de droite ci-dessus), qui devient vite le chouchou du public féminin. Mais le quota ne s'applique pas aux joueurs qui résident depuis plus de 3 années complètes en Allemagne. Cela permet donc à Heinz Klopstech de rappeler celui qui était son meilleur joueur chez les BFC Preussen, Sven-Erik Brännström : cet ingénieur suédois en chauffage et climatisation était arrivé dans la ville pour le chantier de la Fernsehturm, la tour de télévision de Berlin-Est construite en 1969 (mais les clubs de RDA n'incorporaient pas de hockeyeurs étrangers et l'avaient envoyé à l'Ouest), et s'y est définitivement établi en épousant une Berlinoise. Défenseur de grand gabarit (1m89), Brännström assure à l'équipe d'avoir aussi une solide deuxième paire : elle est formée à partir de la mi-saison avec Stefan Metz, une jeune recrue offensive que Xaver Unsinn décide de reconvertir à l'arrière. La meilleure défense du pays est clairement Berlin... et elle ramène le titre dans la capitale ! Le sacre est fêté sur la glace avec le légendaire Gustav Jaenecke, appelé par le public qui ne l'a jamais oublié. L'éditeur Axel Springer - sponsor majeur du club berlinois - invite les joueurs champions au neuvième étage de son fameux immeuble et leur donne à chacun une Rolex.

Conserver le titre sera plus difficile que le conquérir, croit l'entraîneur Xaver Unsinn. Cela s'avère vrai. En fin de saison, Unsinn conclut que c'est le départ de Jaakko Marttinen - qui a filé en Suisse à Zoug deux jours avant la clôture des transferts - qui a coûté le titre. Le Berliner SC termine quand même vice-champion. Il aborde le championnat 1975/76 avec le retour de Marttinen et l'arrivée du gardien international Erich Weishaupt. C'est de nouveau la meilleure défense du pays, mais en plus Ernst Köpf finit pour la première fois meilleur marqueur du championnat (à 36 ans !), sur une première ligne de choc avec le capitaine Lorenz Funk et Martin Hinterstocker. Après le championnat, six joueurs du club plus l'entraîneur Xaver Unsinn partent aux Jeux olympiques 1976 où ils conduisent l'Allemagne de l'Ouest à une médaille de bronze totalement inattendue.

Filouterie judiciaire et joute verbale de 50 minutes

Toujours très pris par son travail d'ingénieur d'exploitation chargé du chauffage de la tour de télévision, Sven-Erik Brännström raccroche pendant l'été parce qu'il ne peut de toute façon pas s'entraîner deux fois par jour comme le reste de l'équipe, quasi-professionnelle de fait. Pour remplacer le Suédois, on engage Matthias Maurer. Il est déjà sur place mais son ancien club Cologne - le gros acheteur de l'intersaison - finit par le retenir. Ce transfert avorté aura moins de conséquences sportives - Brännström reviendra même se mettre à disposition de l'équipe qui manque de défenseurs - qu'extra-sportives. Toute l'Allemagne ne parlera bientôt plus que de "l'affaire Maurer".

Le président Lambrecht estime en effet que le KEC n'a pas tenu les engagements financiers pris en échange de l'annulation de ce transfert. Cinq minutes avant le coup d'envoi du match de championnat Cologne-Berlin, il arrive avec une injonction provisoire de la justice - qui sera annulée ultérieurement par un autre tribunal - pour interdire à Maurer de participer à la rencontre ! Le Berliner SC s'impose 5-2... et aura en fin de compte match perdu sur tapis vert ! La fédération allemande (DEB) s'est en effet agacée que le club berlinois ait eu recours à la justice civile sans la consulter pour régler un problèmes sous sa juridiction. Xaver Unsinn accuse alors le président DEB Otto Wanner d'avoir rompu sa parole qu'aucune sanction ne soit prononcée sur cette affaire Maurer. De son poste de sélectionneur, il annonce qu'aucun Berlinois ne se rendra en équipe nationale, position confirmée par une dizaine d'internationaux ! Il se ravise pour les matches contre la Suisse et la Tchécoslovaquie autour du Nouvel An, mais maintient son ultimatum pour début février.

Partout en Allemagne, les Berlinois se font siffler. À domicile, le public boude. Le sport passe au second plan derrière l'affaire. L'équipe n'y résiste pas psychologiquement et s'effondre. La fédération ne cède pas. Héros national un an plus tôt, Unsinn est détesté quand il met sa menace à exécution et démissionne. Trois joueurs maintiendront leur boycott : le gardien Erich Weishaupt (qui reviendra en sélection après avoir quitté Berlin), Stefan Metz et Anton Hofherr, qu'on ne reverra plus sous le maillot national. Les autres répondront aux convocations des prochains sélectionneurs.

Xaver Unsinn (à droite sur la photo ci-dessus) a écorné sa réputation et abandonné son poste d'entraîneur national pour pas grand chose. Au début de la saison suivante (1977/78), il est de moins en moins suivi par ses joueurs et démissionne au bout d'un mois. Il recommande de ne surtout pas être remplacé par son "ennemi intime" Gerhard Kiessling (à gauche sur la photo ci-dessus)... mais c'est justement lui que choisit le président Lambrecht pour remotiver l'équipe avec ses phrases qui claquent ! Quand Unsinn revient à Berlin avec son nouveau club Rosenheim, la conférence de presse obligatoire d'après-match se transforme en une incroyable joute verbale entre les deux entraîneurs. Unssin répète une fois de plus que Kiessling n'est "pas adapté à Berlin" par son caractère. Son successeur rétorque qu'il a récupéré une affaire pourrie ("Softladen", expression allemande pour qualifier une boîte bordélique à fuir), des millions de dettes laissées par Unsinn - qui avait été promu directeur sportif et impliqué dans le recrutement - et une mauvaise condition physique liée à une préparation estivale insuffisante. Et une pierre de plus dans le jardin de son prédécesseur. Ces échanges houleux durent 50 minutes devant des journalistes médusés. Pour conclure, et après les dernières salves ("Tu es un type bien différent de moi" déclare Kiessling auquel Unsinn répond "Encore heureux"), les deux hommes se serrent la main avec un petit sourire ! Comme s'ils étaient deux débatteurs politiques qui avaient pris un certain plaisir à cette bataille oratoire...

Retour gagnant du tennis, le hockey se fait breaker

Berlin termine deuxième à un point seulement du deuxième Riessersee mais Kiessling repart, parce qu'il a reçu une grosse offre de Cologne mais aussi parce qu'il sent que le système Lambrecht est financièrement à bout de souffle. La spirale salariale continue mais les affluences stagnent et la médiatisation progresse. Lambrecht s'est emporté en direct en interview contre la télévision, qui refuse de retransmettre les matches à cause des publicités dans les bandes mais ferme les yeux quand il s'agit du football. Il a mis en place une société (Eissport KG) qui salarie les joueurs, notamment sous prétexte de recherche de ces publicités sur les balustrades puisque l'amateurisme reste officiel. Mais le moindre transfert s'est transformé en bataille juridique - le cas Maurer n'étant pas isolé - et a rendu les relations de plus en plus tendues avec les clubs concurrents.

Surtout, la structure du pouvoir a changé au sein du club omnisports. Grâce aux nouvelles installations, la section tennis compte plus de 600 licenciés, presque la moitié des membres. Elle impose peu à peu ses dirigeants et évince ceux qui étaient issus du hockey sur glace. Après les cinq premières années réussies du mandat Lambrecht, la dette est revenue. Le professeur d'université Wilfried Schlacht est élu président du Berliner Schlittschuh Club. La nouvelle direction dissout la Eissport KG et fonde une autre société (Eishockey KG) où elle se partage les postes. Heinz Lambrecht est le bouc émissaire pour à peu près tout. Un membre du comité propose même de le destituer de son titre du président d'honneur, Lambrecht décide alors de renoncer à cette fonction purement honorifique avant qu'on lui enlève (Schlacht lui rendra la présidence d'honneur en 1989, onze longues années plus tard).

Lambrecht réagit si brutalement à son renvoi qu'il est proche d'entraîner tout le hockey allemand dans sa chute. C'est lui qui détient personnellement les licences d'Erich Weishaupt et Peter Scharf, dont les nouveaux clubs (Mannheim et Rosenheim) ne versent pas les indemnités de transfert convenues en espérant bénéficier de la confusion - voire de l'odeur de faillite - qui règne à Berlin. Ils jouent toute la première phase sans licence et le classement est menacé d'un chamboule-tout avant que la fédération n'enterre l'affaire sur le tapis.

Que le président soit Lambrecht ou pas, cela ne change à la conjoncture économique du club, ni au contexte trouble du hockey allemand. Pendant les deux années de mandat de l'entraîneur suédois Olle Öst, le club berlinois est confronté à une concurrence qui se barde de plus en plus de joueurs canadiens à double passeport (parfois truqué). En 1980/81, le club se met à la mode canadienne, tout en arborant son premier sponsor maillot, la compagnie française de pétrole Elf. Ce n'est pas un grand succès : Stephen Ford est éclaboussé par l'affaire des faux passeports et le jeune entraîneur Mike Zerres est renvoyé avant la fin de la saison. Le budget prévisionnel, qui s'appuie à 50% sur la billetterie, a été établi sur 3500 spectateurs de moyenne, et ils ne sont que 3000. Pour éviter que ces déficits récurrents ne mettent le club en danger, les dirigeants créent en 1981 une association séparée (Berliner Schlittschuh Club Eishockey e.V.) : il faut être membre du club pour y adhérer, elle n'est donc pas indépendante, mais elle est juridiquement - et donc financièrement - distincte.

Mike Daski - que Xaver Unsinn avait vainement recommandé pour lui succéder à l'époque pour éviter l'arrivée de Kiessling - est embauché comme entraîneur pour la saison 1981/82. L'équipe a des hauts - des moments d'euphorie qui ramènent l'enthousiasme du public - mais aussi des bas. Après quelques défaites de suite, les dirigeants désignent comme boucs émissaires les deux gros contrats Martin Hinterstocker et Mike Bruce, qui se font renvoyer. Leurs coéquipiers se montrent solidaires et boycottent la fête de Noël du club pour s'amuser entre eux, en utilisant la caisse de l'équipe. Le Berliner SC retombe en milieu de tableau et se fait promptement sortir en playoffs. Les affluences n'ont toujours pas décollé, alors les dirigeants déclarent qu'ils mettront la clé sous la porte s'ils ne reçoivent pas d'aide du Sénat de Berlin, l'autorité municipale.

Triste(s) fin(s) d'un club mythique

Pendant toute la guerre froide, Berlin-Ouest reçoit des subventions conséquentes en raison de son rôle d'enclave politiquement importante. Les hockeyeurs aimeraient bien en bénéficier également. Le Sénat de Berlin confie déjà gratuitement la glace, et avait aussi financé des camps de pré-saison en Bavière qui sont moins chers qu'une ouverture précoce de la patinoire. La tentative de mettre une pression politique supplémentaire est renvoyée comme un boomerang : le Sénat rétorque qu'il ne faut attendre aucune aide de sa part. L'association séparée est en faillite. Elle obtient de la DEB de conserver pendant un an sa licence et ses droits sur les joueurs. Un an plus tard, en 1983, l'équipe sera rachetée par les "BSC Preussen", le Berliner Schlittschuh-Club ayant refusé la fusion.

Tous les anciens dirigeants du hockey sur glace, y compris ceux du hockey mineur, ont rejoint les Preussen. Le Berliner Schlittschuh-Club continue pourtant son activité sportive en amateur, ne voulant pas d'aventure professionnelle qui mette en danger l'association. Les anciens et les jeunes reforment une équipe qui remonte en 1984 en Oberliga (en troisième division). La section retrouve une centaine de licenciés et forme même une des premières équipes féminines d'Allemagne. Mais en 1987, l'équipe d'Oberliga est dissoute à son tour, encore trop chère à faire fonctionner pour la direction avec 40 matches par an, dans l'anonymat désormais puisque les supporters se sont ralliés aux BSC Preussen. Le succès dans les petites catégories est vain, car les joueurs rejoignent les Preussen dès l'adolescence. Un espoir survient en 1991 quand le Berliner Schlittschuh-Club reforme une équipe à partir de hockeyeurs de l'Est grâce à la réunification. Il fait son retour en Oberliga un an plus tard et, pour le centenaire du club en 1993, affiche des ambitions avec un nouveau sponsor (Travimpex)... qui a promis des millions à de nombreux clubs sportifs et qui se révèle être une fumisterie. Les grosses recrues ne viendront jamais. Le vieil entraîneur du club Gerhard Melerski se porte volontaire pour encadrer une équipe qui finit son championnat comme elle peut (1 victoire, 29 défaites), souvent invitée par les clubs-hôtes qui offrent le repas et les bières.

Le Berliner SC redescend mais redonne un dernier signe de vie avec l'arrivée en 1996 de l'ancien gardien international est-allemand René Bielke. Elle monte en 1. Liga Nord en 1997 mais son dossier d'inscription est quasiment vide. Au lieu de réagir aux exigences de la fédération, les dirigeants imaginaient sans doute qu'ils auraient droit à un statut spécial, par leur histoire ou en tant que club de la capitale. Le président Bernd Tschech promettait de régler les problèmes après ses congés estivaux... Il avait déclaré début juillet que 70% du budget de 600 000 marks était assuré, mais quand il a finalement interrompu ses vacances pour défendre sa cause devant la commission de la fédération, celle-ci s'est aperçue qu'il n'y avait que ses promesses orales et non des contrats. Même la caution de 50 000 marks n'est pas fournie. "C'est affreux quand les joueurs eux-mêmes entreprennent des tentatives de sauvetage pendant que le président lézarde au soleil", se lamente le gardien Sebastian Baader.

Même si la faillite de la section hockey est inéluctable, les joueurs se déclarent presque tous prêts à jouer en amateur en Regionalliga. Pourtant, la direction générale du club omnisports s'y refuse car elle était en conflit larvé avec la direction du hockey depuis le retrait de l'ex-président Lutz Tempelhagen, qui reste membre du comité du club omnisports. Elle oublie un peu vite qu'un an plus tôt, au moment où le BSchC avait recruté des joueurs d'autres clubs avec de gros contrats, son président s'appelait encore Tempelhagen... Les activités des jeunes sont censées continuer, mais leur entraîneur n'est autre que le meilleur marqueur de l'équipe première (Jeff Job) qui présage d'un grand exode.

Les sports de glace de haut niveau ne sont plus représentés au BSchC que par le patinage de vitesse et la superstar Claudia Pechstein... S'être débarrassé plusieurs fois du hockey sur glace - sport qui a fait sa gloire - ne sauvera pas le club de la ruine. Après avoir expulsé les sports de glace en 2007, le Berliner Schlittschuh-Club continue en tant que club quasi-exclusif de tennis... et est mis en liquidation judiciaire en 2014 avant de disparaître totalement !

Les sports de glace ont quant à eux refondé leur propre club sous le nom ESC (Eissport und Schlittschuh Club) 2007 Berlin avant de reprendre le nom historique Berliner Schlittschuh-Club en 2020. Ils sont les seuls à perpétuer l'héritage et le nom du club le plus titré d'Allemagne, bien loin de la gloire passée.

Marc Branchu

 

 

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