Jari Kurri

 

Lorsque Jari Kurri monte pour la première fois sur des patins à trois ans, il tombe la tête la première et boude pendant un quart d'heure avant de se résoudre à retourner sur la glace. Rien ne le prédestine alors à devenir le meilleur joueur finlandais de tous les temps.

C'est pourtant ce qu'il sera, avec une classe d'avance sur ses compatriotes. Au sein des Edmonton Oilers des années 80, l'équipe la plus spectaculaire de l'histoire de la NHL, il forme un couple magique avec Wayne Gretzky. Le talent est tel dans cette formation que Kurri perfectionne le "one-timer", cette reprise directe sur une passe rapide du partenaire, à une vitesse d'exécution inconnue jusqu'alors. À la fois grand travailleur en défense et homme des buts importants, il est reconnu à l'égal des plus grands, faisant ainsi taire tous les préjugés à l'égard des Européens.

Jari Kurri a également eu un effet essentiel sur le hockey finlandais. Il l'a décomplexé, en lui apportant son premier titre international en juniors, mais aussi en prouvant par sa carrière que les Finlandais peuvent réussir au même titre que les autres. Même s'il n'a pas participé à la première médaille olympique ou au premier titre mondial de la Finlande, il en a été quelque peu le père spirituel, par le rôle de modèle qu'il a eu pour toute une génération, qui a enfin pris confiance en elle-même. C'est pourquoi son numéro 17 a été retiré non seulement chez les Edmonton Oilers, mais aussi en équipe nationale de Finlande, et finalement à Jokerit lors de la cérémonie du 40e anniversaire du club.

 

Quand le Jokerit investit dans la formation

C'est à vingt mètres du pas de sa porte, sur une patinoire aménagée et déneigée par les pères du quartier, que Jari Kurri commence à jouer au hockey avec ses copains, en prenant à peine le temps de dîner entre deux parties. En compétition, il commence par l'athlétisme, comme son père. Son entraîneur Raimo Vilen, un des meilleurs coureurs européens de 100m à l'époque, décèle en lui des qualités de sprinter. Sans doute aurait-il définitivement opté pour l'athlétisme, qu'il abandonnera à douze ans lorsqu'il faudra faire un choix, s'il n'avait pas eu la chance de se trouver au bon moment de l'histoire du hockey sur glace à Helsinki.

Auparavant, la formation des jeunes hockeyeurs était défaillante dans la capitale, où les clubs ne se préoccupent que de leur équipe-fanion. Résultat, la ville dominatrice du hockey finlandais est Tampere, où plus de mille jeunes jouent au hockey sans tous se préoccuper de l'élite, ce qui n'empêche pas les clubs locaux d'être les meilleurs du pays, bien au contraire. Un imprimeur de Tampere, Kalervo Lindgren, a déménagé à Helsinki et a voulu aider cette ville à se doter d'activités similaires pour les jeunes. Le HJK Helsinki lui a claqué la porte au nez, mais il a trouvé une oreille attentive en Aimo Mäkinen, le fondateur de Jokerit, qui veut donner de hautes ambitions à son nouveau club, tout en amenant les jeunes joueurs qui y sont formés jusqu'en seniors.

Jokerit organise donc un grand tournoi de détection annuel avec cinq cents participants de tous les quartiers de la ville. Kurri y est repéré et intègre donc le club. Ses premiers entraîneurs au sein de Jokerit sont Leo Virmanen puis Pentti Katainen, dont les fils respectifs Matti et Panu évoluent sur la même ligne d'attaque que Jari Kurri. Le père de celui-ci, Ville, est quant à lui le chauffeur attitré des gamins qu'il emmène jouer dans les différentes patinoires de la région, souvent en plein air pour les jeunes.

En 1973, le rêve de Makinen prend corps. Non seulement les seniors du Jokerit remportent leur premier titre, mais en plus les moins de treize ans du club deviennent la première équipe de la capitale à remporter le championnat. Jari Kurri marque un but dans la finale gagnée 6-1 contre KooVee. L'année suivante, les jeunes prodiges de Jokerit gagnent toutes leurs rencontres, sauf une : la finale, perdue 3-4 contre Kärpät, qui compte dans ses rangs Kari Jalonen mais aussi Reijo Ruotsalainen, futur coéquipier de Kurri à Edmonton. Seuls trois joueurs de cette génération sont choisis pour jouer avec un an d'avance avec l'équipe première des moins de seize ans, et Jari Kurri n'en fait pas partie. Il attend donc une année avant de faire une irruption fracassante dans la catégorie. Avec ses 65 buts et 24 assists en 58 matches, il devient champion national des moins de 16 ans en étant le meilleur marqueur.

Héros national à dix-sept ans

Une nouvelle ère s'ouvre pour Jari, car il intègre les équipes nationales de jeunes. Sa première sélection remonte à un tournoi en Allemagne fin décembre 1976. Le soir de la Saint-Sylvestre, le manager de l'équipe Pentti Katainen, toujours rigoriste de la discipline comme il l'avait été avec Jokerit, permet aux joueurs de sortir en boîte, sous la condition expresse qu'ils ne consomment pas d'alcool, d'autant qu'ils sont mineurs. En rentrant dans la discothèque un peu plus tard dans la soirée, les accompagnateurs découvrent pourtant leurs poulains attablés autour de quelques bières, trahissant leur confiance. Les jeunes joueurs sont alors prévenus qu'un rapport sera adressé à la fédération et que leurs jours en équipe nationale sont comptés. En réalité, cette histoire n'aura aucune conséquence, même si Jari Kurri décide quand même qu'il honorera dorénavant avec plus de sérieux le maillot finlandais.

À dix-sept ans, pendant la saison 1977/78, il joue déjà en équipe première sur la quatrième ligne. Le Jokerit termine dernier mais sauve sa peau lors du barrage de relégation, où Jari Kurri ne fait pas que de la figuration avec un but et sept assists en six matches. Il faut dire qu'entre-temps, son statut a changé : il n'est plus un simple joueur anonyme, il est un héros national. En effet, aux championnats d'Europe des moins de dix-huit ans à Helsinki, la Finlande remporte sa première médaille d'or dans une compétition internationale et fait son entrée dans le concert des grands pays de hockey. Lors du match décisif contre les grands talents du hockey soviétique, Jari Kurri inscrit le but de la victoire au début de la deuxième prolongation. On s'arrache alors ce jeune homme discret élu meilleur joueur du tournoi.

Jari Kurri devient la saison suivante un cadre du Jokerit, bien que toujours junior, et bien que n'ayant pas encore son permis, ce qui oblige son père à attendre le bus des joueurs sur le parking de la patinoire au retour des déplacements, tard dans la nuit, pour le ramener à la maison. Jari Kurri se montre digne du dévouement paternel en devenant le troisième marqueur du Jokerit dès sa deuxième saison. La saison 1979/80 est également bien remplie pour Jari Kurri puisqu'il y effectue parallèlement son service militaire. Il trouve la discipline militaire un brin puérile, mais il ne se plaint pas car il est intégré au bataillon de Lahti, spécialement conçu pour les sportifs et qui permet quelques aménagements. Il dispute donc une dernière fois les championnats du monde des moins de vingt ans, où l'URSS de Krutov et Larionov tient sa revanche.

Le bon coup d'Edmonton

Mais ce n'est pas tout, car Jari Kurri débute aussi en équipe nationale et participe aux Jeux Olympiques de Lake Placid, où la Finlande pratique un jeu de qualité mais cède à chaque fois en fin de match pour terminer à une quatrième place qu'elle ne connaît que trop bien. Cette génération en or, la Finlande entend la conserver pour monter enfin sur les podiums mondiaux. Elle fait donc signer des contrats à ses jeunes joueurs qui s'engagent à rester à la disposition de la sélection jusqu'aux Jeux Olympiques de Sarajevo. Les scouts de NHL barrent donc les Finlandais de leurs listes. Sauf l'un d'entre eux, un peu mieux renseigné que les autres. Barry Fraser, recruter des Edmonton Oilers, a sympathisé avec Matti Vaisanen, l'entraîneur de Jokerit, en allant assister à des rencontres du championnat finlandais. Il s'enquiert donc directement auprès de son ami de la situation de Kurri, et apprend que celui-ci n'a pas signé le contrat en question, car il veut se réserver la possibilité d'un départ en NHL. Cette ligue, qu'il ne connaissait quelques années plus tôt que par l'intermédiaire des cartes de collection, commence à prendre corps dans son esprit. Depuis quelques semaines, il prend des cours d'anglais, en cachette de ses parents, à l'initiative de Vaisanen.

Le jour de la draft 1980, les Edmonton Oilers attendent leur heure avant de sortir leur botte secrète. Pas besoin de se presser pour choisir Kurri, aucun Européen n'est choisi dans les trois premiers tours. C'est donc en soixante-neuvième position que Jari Kurri est sélectionné. Il est pourtant bien meilleur que le n°1 de ladite draft, Doug Wickenheiser. Encore faut-il bien sûr pour Edmonton que Jari accepte effectivement le contrat qu'on lui propose. Or, il ne se sent pas vraiment prêt, et la perspective de continuer à représenter l'équipe nationale n'est pas négligeable.

Pour le persuader, les Oilers dépêchent un émissaire de choix, Matti Hagman. Celui-ci a été le premier Finlandais à passer directement de la SM-liiga à la NHL, en 1976, mais il est tombé dans la mauvaise équipe, les "Big Bad Bruins" de Boston de l'entraîneur Don Cherry, qui préfère le combat de rue à la créativité nordique. Matti Vaisanen, encore lui, l'a néanmoins recommandé aux Oilers qui l'ont mis sous contrat. Comme le défenseur au tir puissant Risto Siltanen est déjà à Edmonton, Jari aurait deux compatriotes pour l'entourer s'il traversait l'Atlantique. Matti Hagman est un "ennemi" puisqu'il joue au HIFK, le club rival de Helsinki, mais c'est pourtant lui qui convainc Jari d'aller en NHL, lors d'une conversation assis sur l'herbe derrière une caserne de pompiers, une rencontre arrangée par l'inévitable Vaisanen, ancien entraîneur de Hagman au HIFK. La Finlande s'étonne de voir partir un joueur aussi jeune, et ses parents s'inquiètent, eux qui n'auront que très rarement l'occasion de l'avoir au téléphone.

Duo de rêve avec Gretzky

Jari Kurri a été la plupart du temps ailier gauche jusqu'ici dans sa carrière, mais à son arrivée à Edmonton, on le place à droite, et il y restera. Il est aligné sur le deuxième bloc des Oilers aux côtés de Matti Hagman, les deux Finlandais étant protégés par Dave Semenko, un ailier d'apparence peu commode qui intimide les adversaires par son seul regard. Mais la ligne fonctionne mal, et elle n'est pas la seule dans ce cas. Au bout de deux mois, l'entraîneur Watson est limogé par le manager Glen Sather, qui reprend la place de coach qu'il lui avait abandonnée quelques mois plus tôt.

Une des premières idées de Sather est de mettre Kurri (20 ans) en première ligne avec le centre prodige Wayne Gretzky (19 ans), déjà élu meilleur joueur de NHL la saison précédente. Cette intuition se révélera être un coup de génie : un grand duo est en train de naître. Contrariant tous les préjugés sur les joueurs européens, Jari Kurri s'adapte assez facilement. Bien que les dimensions de la glace ne lui soient pas familières et que l'habitude nord-américaine de se débarrasser du palet au lieu d'avancer en le gardant sous contrôle lui soit étrange, il se fait assez bien au jeu physique, d'autant qu'il est assez rapide pour éviter les mises en échec et qu'il n'a rien à apprendre dans le domaine défensif où il excelle.

Un an plus tôt, Jari Kurri était un espoir prometteur mais qui ne s'était pas encore distingué parmi les tout meilleurs joueurs de SM-liiga. En l'espace d'une saison, le deuxième marqueur du Jokerit est devenu le deuxième marqueur d'Edmonton, derrière le meilleur du championnat, Wayne Gretzky. En play-offs, il contribue au premier chef à l'élimination d'un des favoris, les Canadiens de Montréal. Les Oilers, qui ne perdent que contre le futur champion, les New York Islanders, n'auront pas tardé à faire parler d'eux en NHL, de même que Gretzky et que l'inattendu Kurri.

Bonnes et mauvaises plaisanteries

On aurait cependant tort de croire que l'intégration en NHL fut une partie de plaisir pour le Finlandais. Bien sûr, il faut réapprendre un jeu différent, ou plutôt parfois désapprendre ce qu'on lui a enseigné, comme la mobilité des ailiers, qui permutent en Finlande mais bougent beaucoup moins de leur position en Amérique du nord. Mais il n'y a pas que ça. Pour faire comprendre à l'Européen ce qui l'attend, Dave Hunter lui donne un coup de crosse sur la main, petit avant-goût des us et coutumes de la ligue.

Mais le vrai bizutage arrive plus tard, et Jari le redoute car la "tradition" de l'époque consiste à passer au rasoir une certaine pilosité intime. Heureusement, le Finlandais a droit à un sort différent et moins dégradant. Au rasage de mauvais goût se substitue une plaisanterie plus drôle, qui demande de l'organisation et exploite la méconnaissance des lois locales par le petit nouveau. Jari Kurri est invité par ses coéquipiers à une partie de chasse dominicale, où ils sont censés guetter des oiseaux mais au cours de laquelle ils détalent comme des lapins quand surgit la police, qui arrête le jeune Finlandais, tout penaud dans son ridicule accoutrement orange. On lui signale que la chasse est interdite le dimanche dans l'Alberta et qu'il devra rester deux jours en prison. Cela implique de rater le prochain match, et Jari Kurri se demande comment il pourra expliquer ça à son entraîneur. En fait, les policiers sont complices du canular et ils emmènent Jari jusque dans un restaurant, où il comprend enfin à la vue de ses camarades hilares qu'il a été piégé.

Si cette blague ponctuelle est amusante, la façon qu'ont certains joueurs de railler l'anglais hésitant de Jari (qu'il ne comprend quasiment pas à son arrivée mais qu'il développe en regardant... la série Happy Days) l'est beaucoup moins. Matti Hagman a une idée pour leur donner une leçon d'humilité : pendant tout un déplacement, les Finlandais se mettent à parler uniquement dans leur langue natale, au grand étonnement de Gretzky finalement mis dans la confidence. Au retour, Hagman est convoqué par l'entraîneur-manager Glen Sather. Il s'attend au pire mais expose clairement la situation. Il voulait faire comprendre aux Canadiens que tous parlaient certainement moins bien le finnois que Jari ne parlait anglais, et qu'ils étaient bien mal placés pour le tourner en dérision. Sather acquiesce et oblige alors les gros bras Semenko et Brackenbury, les deux principaux railleurs avec Messier, à s'excuser. Les moqueries cesseront dès lors dans les vestiaires.

Jari Kurri n'est pas d'un grand secours à la sélection nationale finlandaise lorsqu'il la rejoint pour la Coupe Canada 1981, ni même lors des championnats du monde 1982, ses derniers avant longtemps car les Oilers seront ensuite trop occupés par les séries finales. Ce passage suffit cependant à exposer ses qualités et à se faire élire meilleur joueur finlandais 1982, une distinction qu'il conservera sans interruption pendant neuf années, jusqu'à ce qu'il quitte Edmonton. Si Kurri a été libéré à temps pour les Mondiaux, c'est que les play-offs de NHL ont été marqués par une nouvelle surprise, où Edmonton était cette fois du mauvais côté de la barrière. Premiers de la saison régulière, les Oilers affrontent le seizième, Los Angeles, et perdent une série marquée par un match incroyable qui restera le pire souvenir de la carrière de Kurri. Il prend dix minutes de méconduite en même temps que Siltanen, et comme il ne reste que neuf minutes à jouer, les deux Finlandais doivent prendre directement la direction des vestiaires. C'est de là qu'ils assistent impuissants, sur un écran de télévision, à la déroute de leurs coéquipiers, qui menaient 5-1 mais qui se font remonter but après but. Kurri et Siltanen reviennent sur le banc pour la prolongation, mais celle-ci tourne court, à l'avantage des Kings.

Edmonton n'est pas encore une équipe de play-offs. Elle a beau faire exploser les compteurs dans une furia offensive inégalée, ce sont les Islanders qui font la loi sur la ligue. Mais à cette dynastie succèdera bientôt une autre, ce n'est qu'une question de temps. Grâce à une influence européenne partielle, les Edmonton Oilers sont en train de révolutionner la NHL en devenant une machine à marquer qui fait la part belle à la finesse technique. Ils régalent le public mais les résultats se font attendre. Il faut d'abord qu'ils s'endurcissent pour répondre aux exigences des joutes éliminatoires.

Mûr pour la Coupe Stanley

La maturation a lieu lors de la saison 1983/84. Jari Kurri y inscrit des buts à la louche, notamment six en un seul match le 19 novembre 1983 contre les New Jersey Devils. Edmonton marque plus cette année-là que n'importe quelle autre équipe dans l'histoire. Pour la première fois, trois coéquipiers marquent cinquante buts en saison régulière : Wayne Gretzky, Glenn Anderson et Jari Kurri. Mais cette domination outrancière ne veut plus rien dire lorsque commencent les play-offs, l'unique heure de vérité. Edmonton arrive en finale, mais sur leur route se dressent à nouveau les Islanders, qu'ils n'ont pas battu lors de leurs douze dernières confrontations. Tout vient à point à qui sait attendre, et la jeunesse désormais mûre a raison de l'expérience. Edmonton, l'équipe la plus européanisée de la NHL, remporte sa première Coupe Stanley, et l'homme qui a marqué le plus de buts dans ces play-offs (14) n'est autre que Jari Kurri, qui en fera sa spécialité.

Le Finlandais est un buteur phénoménal au pourcentage d'efficacité impressionnant dans les lancers. Il a le tir le plus précis de la NHL, c'est Gretzky lui-même qui le dit. Il sait de quoi il parle : quand Wayne et Jari partent en deux contre un, c'est le but assuré. Passe du premier et but imparable du second, c'est écrit comme du papier à musique. Jari Kurri inscrit 71 buts en 1984/85, plus qu'aucun autre ailier avant lui, et est forcément reconnu comme le meilleur ailier droit de la ligue, poste où Mike Bossy était indétrônable. Il fait encore plus fort en finale de la Conférence ouest contre Chicago : douze buts dans la même série, record absolu, de même que ses quatre hat-tricks dans ces play-offs. Mais une marque historique encore plus importante lui tend les bras, celle du plus grand nombre de buts en play-offs inscrits la même année. Ce record qui semble fait pour Kurri est de 19 buts, par Reggie Leach (Philadelphie) en 1976. Avant la finale, justement contre les Philadelphia Flyers, Jari en compte 18. Mais lors des quatre dernières rencontres, il n'engrange que quatre assists, et ce n'est qu'au cinquième et dernier match qu'il trouve le chemin des filets. Il ne fait donc qu'égaler le record, sans le dépasser, la faute à un face-à-face manqué contre le gardien Bob Froese, alors que la victoire était assurée depuis longtemps.

Un attaquant défensif négligé

Avec un tel total, il aurait pu, comme Leach, se voir décerner le trophée Conn-Smythe de meilleur joueur des play-offs, ou même le trophée Hart de meilleur joueur pour l'ensemble de sa saison, s'il n'était pas dans l'ombre de Gretzky. Il n'a qu'un lot de consolation, certes appréciable, le Lady Byng, en hommage à ses qualités sportives et humaines. Un moindre mal. Le vrai scandale, en effet, c'est que Jari Kurri n'ait jamais reçu le trophée Frank Selke du meilleur attaquant défensif. Il y a deux explications à ce qu'il ait été nominé mais jamais vainqueur. Tout d'abord, sa nationalité est un handicap dans les votes, certains électeurs conservateurs rechignant à donner leurs voix à un Européen. Et puis, son impressionnant compteur est tout simplement suspect. Comme si, pour que son travail défensif soit reconnu, il eût fallu qu'il fît abstraction de ses qualités de buteur ! Il faudra l'élection de Sergueï Fedorov en 1994 pour que cette conception restrictive du trophée Selke s'éteigne, mais ce sera trop tard pour Kurri... Son entraîneur Glen Sather n'a lui aucun doute sur le fait qu'il tient là le meilleur attaquant défensif du championnat. Dans une équipe d'Edmonton riche en défenseurs offensifs à la Paul Coffey, un joueur comme Jari Kurri est précieux dans les deux sens de la patinoire, très difficile à passer en un contre un, aussi doué pour couper les lignes de passe adverses que pour s'en ouvrir une avec Gretzky.

Gretzky, qui estime que le Finlandais aurait dû recevoir pas moins de cinq fois le trophée Selke, a déclaré au Edmonton Sun à propos de son fidèle ailier : "Jari Kurri était l'un des joueurs les plus altruistes avec qui j'ai jamais joué. Il aurait pu facilement marquer vingt buts de plus par an s'il avait été plus égoïste. C'était étonnant, surtout dans un club aussi offensif qu'Edmonton, de le voir toujours penser d'abord à la défense avant de songer à l'attaque." Dans son livre My life in Pictures, le n°99 rajoute : "Les gens pensent à lui comme à un buteur, mais il était si bon défensivement qu'il me permettait de tricher sur mes propres responsabilités défensives."

Outre le record de Jari, un autre évènement a eu lieu dans ces play-offs 1985 : le duo Gretzky-Kurri s'est enfin trouvé un troisième homme. Cette position présente un grand avantage, n'importe quel joueur peut y devenir un grand marqueur avec de tels coéquipiers. Mais elle a aussi un inconvénient, c'est que le joueur concerné se sent un peu intrus tant les deux autres s'entendent à merveille sur la glace, et qu'il a donc tendance à les regarder jouer. Ils sont une dizaine à s'y être essayé sans succès, et c'est un Finlandais, Esa Tikkanen, qui est finalement la bonne pioche. Il a débarqué en plein milieu des play-offs, après avoir terminé sa saison avec le HIFK Helsinki. Et comme Glen Sather était un peu fou et un peu génial en ce temps-là, il l'a jeté dans le grand bain, aux côtés de Gretzky et Kurri, après la première manche perdue de la finale. On s'interroge sur la durabilité du trio : Raimo Summanen, un autre compatriote de Kurri, était arrivé de manière tonitruante pour les play-offs l'année précédente, mais il n'avait pas tenu longtemps sur la première ligne en raison de ses carences défensives. Tikkanen sera lui aussi un temps remis en question, mais finira par s'imposer. Lui qui parle d'abord et qui réfléchit après, l'antithèse du calme Kurri en somme, deviendra bel et bien son compagnon attitré et celui de Gretzky.

Encore un but gagnant

Après l'élimination contre le grand rival de l'Alberta, les Calgary Flames, en 1986, Edmonton remporte deux nouveaux titres avec ce trio-là en pointe. Et, comme dans sa prime jeunesse aux championnats d'Europe juniors, Jari Kurri inscrit un but décisif, le plus important de sa carrière. C'est en 1987, Philadelphie a remonté deux manches de retard pour pousser Edmonton à un septième match en finale. Tikkanen gagne son duel contre la bande, Gretzky centre et Jari Kurri, qui a épuisé son stock de crosses faites sur mesure (200 par saison) et joue avec une crosse achetée dans un magasin de sports, trouve la lucarne de Ron Hextall pour son cinquième but gagnant dans ces play-offs, celui qui apporte à Edmonton sa troisième Coupe Stanley.

La quatrième ne tarde pas à suivre, mais l'année 1988 est celle du crève-cœur. Wayne Gretzky est vendu à Los Angeles et beaucoup craignent que les Edmonton Oilers ne s'en remettent pas. Lorsqu'ils sont éliminés en play-offs par... les Los Angeles Kings de Wayne Gretzky, le scepticisme se fait plus fort encore. Jari Kurri est avec Mark Messier le nouveau leader de l'équipe d'Edmonton, qui a perdu le plus grand joueur de tous les temps mais qui prouve que son talent ne se résumait pas au seul n°99. Les Oilers remportent leur cinquième et dernière Coupe Stanley en 1990, en balayant les "Gretzky Kings" en quatre manches sèches au premier tour, puis en ridiculisant Boston en cinq en finale malgré un grand Ray Bourque, exactement comme avant de départ du "Great One". Le jour de ses 30 ans, Jari Kurri se permet d'inscrire trois buts et deux assists en pleine finale de la Coupe Stanley. Après dix années à Edmonton et cinq titres, il estime que la boucle est bouclée.

La "dolce vita" milanaise...

Il a un nouveau désir, celui de retrouver Wayne Gretzky, son ex-coéquipier mais aussi ami, pour reformer le duo de légende. Mais les Oilers ne veulent évidemment pas l'échanger, et ils ne peuvent pas non plus lui offrir le salaire faramineux qu'il réclame. Les liens sont rompus, et Jari Kurri retourne en Europe, ce qui lui permettra de disputer les championnats du monde qui se tiendront à Helsinki. L'étrangeté, c'est qu'il choisit l'Italie, et les Devils de Milan, club du baron des médias - et pas encore de la politique - Silvio Berlusconi. Le président du Milan AC ne connaît rien au hockey sur glace, et il ne s'intéresse que de très loin à ses Devils, juste pour savoir s'ils sont champions ou non, mais ses ordres sont simples : recruter le meilleur joueur disponible. Sa piétaille s'exécute et Kurri empoche le plus gros salaire jamais versé dans le championnat italien, plus d'un demi-million de dollars.

Mais les Devils ne se sentent pas payés en retour. Jari administre une leçon de modestie à ses coéquipiers lorsque ceux-ci se chamaillent pour des casiers en pestant contre des vestiaires pas encore terminés, et qu'il arrive avec son calme coutumier et prend une chaise pour se changer sans broncher au lieu de faire des caprices de star. Mais on attend de lui qu'il soit productif, et il n'est que le quinzième marqueur en saison régulière et le septième en play-offs, moins bien qu'en NHL ! Le problème, c'est que si sur le plan personnel, il passe une année tranquille avec peu de rencontres et des déplacements courts, sur le plan du hockey en revanche, il ne savait pas où il mettait les pieds. Si aucun joueur ne peut rivaliser avec son talent, beaucoup fanfaronnent à l'idée de se frotter à la vedette et ne lui épargnent aucun coup de crosse, avec la complicité d'un arbitrage médiocre. Pas vraiment la dolce vita... Les Italo-Canadiens continuent donc à faire la loi sur un championnat pas vraiment du goût de Jari, qui aime moyennement le statut de cible préférentielle. Quant aux Mondiaux à domicile, même si Kurri s'y prépare pendant des semaines, ils sont un échec pour la Finlande qui ne ramène toujours pas de médaille.

Heureusement pour lui, Glen Sather, qui sait de toute façon que Jari ne revient jamais sur une décision qu'il a mûri, le sort de ce mauvais pas. Il se résout à l'échanger à Los Angeles, la veille de l'échéance fatidique au-delà de laquelle il aurait été obligé d'honorer sa deuxième année de contrat en Italie. Le meilleur duo de l'histoire de la NHL, celui qui se trouve sur la glace sans un regard, est reconstitué. Dès son premier match avec les Kings, Jari inscrit un hat-trick, son 21e en NHL, comme au bon vieux temps.

Mais ce n'est plus le bon vieux temps, même si ça y ressemble, avec tous ces ex-Oilers dans le vestiaire californien. Jari Kurri ne marque "que" soixante points. A-t-il perdu la main ? Il prouve que non la saison suivante, où il joue au centre (comme à Milan...) pendant plusieurs mois pendant que Gretzky est blessé au dos, et le remplace remarquablement. Les Kings de Los Angeles connaissent leur meilleure saison, et avec le n°99 de retour, ils se hissent jusqu'en finale, mais perdent face à une autre équipe-surprise, le Montréal de Patrick Roy.

Pour que Jari Kurri décroche son dernier titre, il faudra donc attendre le lock-out de NHL en 1994/95. Pendant que la ligue ferme ses portes et que joueurs et propriétaires renégocient la convention collective, les vedettes vont jouer en Europe. Jokerit saute sur l'occasion pour embaucher les deux plus grands joueurs finlandais : Jari Kurri et un jeune talent nommé Teemu Selänne, qui décorait sa chambre de posters de Kurri quand il était petit, et qui a marqué plus de buts pour sa première saison en NHL que n'importe qui dans l'histoire. Avec de tels phénomènes, Jokerit remporte sa première Coupe d'Europe, et Jari son dernier succès.

Après un passage-éclair chez les New York Rangers pour de très brèves retrouvailles avec Gretzky, Jari Kurri saisit l'opportunité d'aller jouer avec Selänne à Anaheim. Il y voit évoluer un duo dont l'entente parfaite n'est pas sans rappeler le Gretzky-Kurri, le tandem Paul Kariya - Teemu Selänne. Malheureusement, il ne le suit que de loin depuis la deuxième ligne, à son grand regret. L'entraîneur Ron Wilson préfère en effet lui donner un temps de jeu un peu plus réduit en raison de son âge. Kurri n'est pas d'accord, et fait ses valises pour Colorado, mais son déclin se confirme et sa dernière saison est à oublier.

Ou plutôt, elle serait à oublier si elle n'avait pas été interrompue par la quinzaine de rêve des Jeux Olympiques de Nagano, où Jari tient son rôle de modèle, et notamment d'organisateur du jeu de puissance finlandais. Lui qui n'a remporté avec l'équipe nationale qu'une médaille d'argent en 1994 peut enfin passer une médaille olympique autour du cou, un parfait point d'orgue à sa carrière. C'est justement ce point d'orgue qui se refuse à Wayne Gretzky, dont le Canada est battu par la Finlande dans le match pour la troisième place. Malgré sa déception, le maître donne alors l'accolade à son plus fidèle complice, une belle image de fin comme on n'en voit pas qu'au cinéma.

Peu après sa retraite, Kurri refait la une des journaux finlandais en raison de son divorce. Son épouse Tiina, dont l'alcoolisme fait les gros titres, part au Texas pour tenter de refaire sa vie. Elle emporte avec elle un de leurs jumeaux, mais il aura le mal du pays et rentrera en Finlande. Tiina règlera ses problèmes de dépendance mais souffrira d'une relation fallacieuse avec un Américain surtout attiré par son argent et par sa pension alimentaire. Jari fera pour sa part une nouvelle carrière de manager où son expertise du hockey sera utilisée par l'équipe nationale et par les Jokerit.

Marc Branchu

 

 

Statistiques

                                                    saison régulière               play-offs
                                                  MJ    B   A  Pts   Pén
1976/77 Jokerit Helsinki jrs      FIN junior      18    4   6   10    4'
1977/78 Jokerit Helsinki jrs      FIN junior       5    5   4    9    2'
        Jokerit Helsinki           SM-liiga       29    2   9   11   12'
1977/78 Finlande 18 ans          Euro 18 ans       4    6   2    8    4'
1978/79 Jokerit Helsinki jrs      FIN junior       2    1   1    2    2'
        Jokerit Helsinki           SM-liiga       33   16  14   30   12'
1978/79 Finlande 20 ans         Mondial 20 ans     6    2   3    5    2'
1979/80 Jokerit Helsinki jrs      FIN junior       6    7   2    9   13'
        Jokerit Helsinki           SM-liiga       33   23  16   39   14'
1979/80 Finlande 20 ans         Mondial 20 ans     5    4   7   11    0'
1979/80 Finlande                Internationaux     8    3   1    4    0'
1980    Finlande                Jeux Olympiques    7    2   1    3    6'
1980/81 Edmonton Oilers               NHL         75   32  43   75   40'      9    5   7   12    4'
1981    Finlande                 Coupe Canada      5    0   1    1    0'
1981/82 Edmonton Oilers               NHL         71   32  54   86   32'      5    2   5    7   10'
1981/82 Finlande                Internationaux     5    1   2    3    2'
1982    Finlande                   Mondiaux        7    4   3    7    2'
1982/83 Edmonton Oilers               NHL         80   45  59  104   22'     16    8  15   23    8'
1983/84 Edmonton Oilers               NHL         64   52  61  113   14'     19   14  14   28   13'
1984/85 Edmonton Oilers               NHL         73   71  64  135   30'     18   19  12   31    6'
1985/86 Edmonton Oilers               NHL         78   68  63  131   22'     10    2  10   12    4'
1986/87 Edmonton Oilers               NHL         79   54  54  108   41'     21   15  10   25   20'
1987    Finlande                Internationaux     6    2   2    4    2'
1987    Finlande                 Coupe Canada      5    1   1    2    4'
1987/88 Edmonton Oilers               NHL         80   43  53   96   30'     19   14  17   31   12'
1988/89 Edmonton Oilers               NHL         76   44  58  102   69'      7    3   5    8    6'
1989    Finlande                   Mondiaux        7    5   4    9    4'
1989/90 Edmonton Oilers               NHL         78   33  60   93   48'     22   10  15   25   18'
1990/91 Devils Milan                Série A       30   27  48   75    6'     10   10  12   22    2'
1990/91 Finlande                Internationaux     6    4   4    8    2'
1991    Finlande                   Mondiaux       10    6   6   12    2'
1991/92 Finlande                Internationaux     5    0   2    2    2'
1991    Finlande                 Coupe Canada      6    2   0    2    7'
1991/92 Los Angeles Kings             NHL         73   23  37   60   24'      4    1   2    3    4'
1992/93 Finlande                Internationaux     1    0   0    0    2'
1992/93 Los Angeles Kings             NHL         82   27  60   87   38'     24    9   8   17   12'
1993/94 Los Angeles Kings             NHL         81   31  46   77   48'
1994    Finlande                   Mondiaux        8    4   6   10    2'
1994/95 Jokerit Helsinki           SM-liiga       20   10   9   19   10'
1994/95 Jokerit Helsinki        Coupe d'Europe     4    3   3    6    0'
1994/95 Finlande                Internationaux     1    0   0    0    0'
1994/95 Los Angeles Kings             NHL         38   10  19   29   24'
1995/96 Los Angeles Kings             NHL         57   17  23   40   37'
1995/96 New York Rangers              NHL         14    1   4    5    2'     11    3   5    8    2'
1996    Finlande                Internationaux     4    0   0    0    0'
1996    Finlande                Coupe du monde     4    1   0    1    0'
1996/97 Mighty Ducks of Anaheim       NHL         82   13  22   35   12'     11    1   2    3    4'
1997/98 Colorado Avalanche            NHL         70    5  17   22   12'      4    0   0    0    0'
1998    Finlande                Jeux olympiques    6    1   4    5    2'
Totaux NHL                                      1251  601 797 1398  545'    200  106 127  233  123'
Totaux en équipe nationale de Finlande           101   36  37   73   39'

 

Palmarès

- Coupe Stanley 1984, 1985, 1987, 1988, 1990

- Coupe d'Europe 1994/95

- Championnats d'Europe des moins de 18 ans 1978

Honneurs individuels

- Membre de la première équipe-type de NHL 1985 et 1987

- Membre de la deuxième équipe-type 1984, 1986 et 1989

- Membre de l'équipe-type des championnats du monde 1991 et 1994

- Meilleur attaquant des championnats d'Europe juniors 1978

- Trophée Lady Byng du joueur le plus gentleman de NHL 1985

- Plus grand nombre de buts en saison régulière de NHL 1986

- Plus grand nombre de buts en play-offs NHL 1984, 1985, 1987 et 1988

Record

- Plus grand nombre de buts en play-offs NHL (19, en 1985).

 

 

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